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Entraide et Tradition

Gustave Thibon

publié dans regards sur le monde le 11 juillet 2020


 

L’IGUSTAVE THIBON (1903-2001)

L’INCLASSABLE PASSEUR

 

 

 

La défiance de Gustave Thibon (1903-2001) face au prêt-à-penser n’a pas empêché ses admirateurs comme ses contempteurs d’attacher de multiples étiquettes à cet homme, qui n’aimait pas s’exposer. Tentative de tri. Autodidacte. Voici un premier adjectif attaché à Gustave Thibon qu’il convient non pas de rejeter en bloc, mais de nuancer, car il peut laisser imaginer une famille fruste, un bagage culturel inexistant. Rien de tout cela chez Thibon.

Né à Saint-Marcel-d’Ardèche, élevé dans une famille simple, il voue un grand amour à sa mère, fille de cultivateur, et une certaine admiration à son père qui travaille la terre en récitant des vers de Victor Hugo. L’idée de « faire carrière » n’a sans doute jamais effleuré l’esprit de ce garçon qui lit déjà beaucoup et décroche un certificat d’études. Mais les circonstances expliquent aussi pourquoi il quitte le collège peu après. La guerre fait rage et son père a rejoint le front: Gustave, fils unique, doit aider son grand-père resté seul à la ferme. La paix revenue, la question ne se pose plus. Quelques années plus tard, il acquerra seul les connaissances qui nourriront sa
pensée et justifieront l’emploi de l’adjectif. Mais les ferments de cet apprentissage tardif ont déjà été déposés par l’environnement âpre et exigeant dans lequel il a grandi.
Jeune homme tumultueux et rebelle

En attendant, au sortir de la guerre, Gustave Thibon est un adolescent marqué par la mort de sa mère, emportée en 1918 par la grippe espagnole qu’il contracte lui-même. Difficile de repérer chez ce jeune homme tumultueux le futur « paysan philosophe », autre raccourci régulièrement utilisé à son sujet. C’est à cette époque qu’il devient agnostique – peut-être influencé par l’exemple de son père libre-penseur. Fait l’acquisition d’une Harley-Davidson qui détonne dans le paysage.

Et puis, au milieu des années 20, il décide de voyager en Angleterre, en Italie, avant d’atterrir en Afrique du Nord où le rattrapent ses obligations militaires. Il est réformé en raison d’un poids jugé trop faible au regard de sa haute taille. Il fait alors l’expérience de la dèche la plus profonde. En 1928, il est de retour et se précipite sur la poésie, la philosophie, les langues anciennes pour fertiliser encore un esprit déjà très ardent, mais tourmenté. « Ma vie commence à 25 ans. […] De l’enfance, de l’adolescence, je ne garde que le souvenir d’un rêve qui fut trop souvent un cauchemar. J’ai vécu vingt ans dans l’avortement et le mensonge », écrira-t-il sans fard presque vingt ans plus tard.

 

Spiritualité carmélitaine

Cette conversion intérieure est psychologique, intellectuelle et spirituelle. Sa rencontre avec Mère Marie-Thérèse du Sacré-Cœur, prieure du Carmel d’Avignon est déterminante, et orientera sa spiritualité carmélitaine. Il fait sa connaissance grâce à Jacques Maritain, qui lui fait écrire ses premiers articles dans la Revue thomiste. Et qui, en 1934, publie son premier ouvrage : La Science du Caractère. À la fin des années 30, il affronte une dure épreuve. Son épouse Paulette, née Gleize, qu’il a épousée en 1938, meurt en couches après avoir donné naissance à sa fille Marie-Thérèse. C’est un penseur endeuillé, déjà mûr, qui parvient ainsi au seuil de la Seconde Guerre mondiale.

Le conflit sera l’occasion d’accoler de nouvelles étiquettes à Gustave Thibon. Il faut dire qu’en 1940, Gabriel Marcel, qui s’était lié d’amitié avec lui, publie ses Diagnostics. Pourtant rédigés avant la débâcle, ils sont considérés, à tort, par certains comme théorisant les principes de la Révolution nationale. Des
postes prestigieux lui sont proposés. On lui suggère de briguer une francisque. Il refuse tout. L’esprit de flagornerie qui anime l’entourage du chef de l’État français l’indispose. Mais il considère, comme tant d’autres, que ce régime représente  un moindre mal et se sent proche des principes initiaux de refondation morale et intellectuelle des Chantiers de jeunesse, inspirés notamment par la pensée personnaliste.

 

Une jeune Juive normalienne…

 

Sur la recommandation du Père Perrin, Gustave Thibon accueille en juillet 1941 Simone Weil (cf. pp. 28-29, jeune juive normalienne passée par le syndicalisme révolutionnaire et le combat antifasciste, exclue de l’Université en raison des lois raciales, qui voulait découvrir le travail de la terre dans son expression la plus nue. C’est la grande rencontre de sa vie. Après la Libération, il veut faire connaître l’œuvre de la philosophe, morte à Ashford en 1943, qui lui avait laissé plusieurs cahiers manuscrits avant de quitter la ferme. En 1947, il publie un des maîtres-livres de la philosophe, La Pesanteur et la Grâce, dont il signe la préface.

 

Des livres traduits dans le monde entier

Depuis le mas de Libian, il continue sa réflexion métaphysique et publie à un rythme régulier. Remarié en 1942 avec Yvette Roudil, il est père de deux nouveaux enfants, Geneviève et Jean-Pierre. Saint-Marcel-d’Ardèche demeure son port d’attache, mais loin de s’y reclure, comme le voudrait une autre légende, il s’en évade régulièrement pour donner des conférences et des cours – on le réclame partout. Ses livres sont traduits dans le monde entier. S’il demeure viscéralement attaché à sa terre, ce n’est
pas pour sa supposée immuabilité. Au contraire, il aime son caractère changeant, la multiplicité des paysages ou le cours tumultueux du Rhône.

Voir chez Thibon un sage confiné dans sa thébaïde, impassible et détaché des bruits extérieurs, serait une erreur. Certes, il regrette de voir disparaître un
monde ancien et enraciné sous ses yeux, mais il n’en tire pas une forme de désespoir, tout aimanté qu’il est par l’éternité. Gustave Thibon, que la lecture de saint Jean de la Croix – « le plus extrémiste de tous les saints » – avait bouleversé, reste habité par de profonds tourments. Pourtant, il finit par connaître enfin la paix. Françoise Chauvin, qui a travaillé plus de quarante ans auprès de lui, en témoigne: « Son combat spirituel de mystique mécréant a cessé à la toute fin de sa vie. La paix qu’il connut avant de mourir m’a donné le sentiment qu’il faisait, de son vivant, ses premiers pas dans l’éternité. »

Guillaume Bonnet
(Source La France Catholqiue)

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