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Entraide et Tradition

Le cardinal Ravasi. Franc-Maçon?

publié dans regards sur le monde le 19 février 2016


Le cardinal Ravasi (1) a écrit une lettre à ses « chers frères maçons », dans laquelle il reconnaît « tant de valeurs communes« . La lettre est reprise sur le site du Grand Orient d’Italie du 15/2/2015.

Dans le film « Les oiseaux se cachent pour mourir » l’auteur raconte le difficile combat du futur cardinal Ralph de Bricassart (2) entre ses devoirs religieux et les tentations d’homme qui, si il y cédait, porteraient atteinte à la discipline de l’Eglise et aux lois qui la régissent. La crainte de Dieu, et celle du scandale qui troublerait les fidèles, pousse le futur cardinal à cacher cette lutte contre lui-même et finalement à vaincre ses propres démons.

Dans le cas du cardinal Ravasi, nous sommes loin de cette salutaire crainte de « tirer contre son camp ». Bien au contraire ce Prince de l’Eglise ne se cache pas et revendique publiquement sa proximité avec ses « chers frères maçons ».

Pouvons-nous espérer au moins que cette attitude insolite soit isolée ? Malheureusement non et nous sommes vite détrompés tant les complicités de nombreux prélats sont légions ! Pour mémoire rappelons ce que le journal La Croix – organe de presse de la Conférence des Evêques de France – a écrit le 25 janvier 2016 : « À l’occasion de l’Année de la miséricorde, pourquoi ne pas écarter définitivement cette accusation de « péché grave », imputée uniquement, du moins de cette façon, aux « initiés » des obédiences maçonniques »?.

Nous ferons grâce à nos lecteurs de la longue litanie(3) des trahisons des évêques et des cardinaux sur ce sujet. Rappelons simplement que « la franc-maçonnerie a été stigmatisée par tous les papes comme une secte d’une perversion toute particulière, dont l’objectif vrai est la destruction de l’Eglise Catholique » (4).

Enfin nous nous permettons de rappeler au cardinal Ravasi les paroles de Mgr Marcel Lefebvre lorsqu’il déclarait que « L’Eglise est occupée par une loge maçonnique » :

« L’Église est occupée par cette contre-église que nous connaissons bien, et que les Papes connaissent parfaitement et que les Papes ont condamnés tout au long des siècles, depuis maintenant bientôt quatre siècles (5). L’Église ne cesse de condamner cette contre-église qui est née avec le protestantisme, surtout, qui s’est developpé avec le protestantisme et qui est à l’origine de toutes les erreurs modernes… libéralisme, socialisme, communisme, modernisme, sionisme…Nous en mourrons !… tout ce programme a été élaboré dans les loges maçonniques… maintenant on s’aperçoit… qu’il y a tout simplement une loge maçonnique au Vatican…quand on se trouve devant un Cardinal…on se trouve devant un franc-maçon !  »

La Porte Latine du 16 février 2016

 

Traduction de la lettre à ses « chers frères maçons » parue sur le site du Grand Orient d’Italie

Chers frères maçons,

J’ai lu il y a quelque temps dans un magazine américain que la bibliographie internationale sur la franc-maçonnerie dépasse cent mille titres. À cet intérêt contribuent certainement l’aura de secret et de mystère qui, plus ou moins à raison, enveloppent dans une sorte de nébuleuse les différents «obédiances» et «rites» maçonniques, sans parler de la genèse elle-même, qui selon l’historienne anglaise Frances Yates, «est l’une des questions les plus débattues et controversées dans le domaine de la recherche historique» (curieusement son essai était consacré aux « Lumières » des Rose-Croix).

Nous ne voulons évidemment pas pénétrer dans cet archipel des «loges», de l’ «Orient», des «arts» (?) «affiliations» et dénominations, dont l’histoire souvent se confond – pour le meilleur ou pour le pire – avec celle politique de nombreuses nations (pensez, par exemple, à l’Uruguay où j’ai participé récemment à différents dialogues avec des représentants de la société et de la culture de tradition maçonnique), de même qu’il n’est pas possible de tracer les lignes de démarcation entre l’authentique, le faux, le dégénéré, ou la para-franc-maçonnerie et les différents milieux ésoteriques ou théosophiques.

Il est également ardu de dessiner une carte de l’idéologie qui régit un univers aussi fragmenté, pour lequel on peut peut-être parler d’horizon et de méthode plutôt que d’un système doctrinal codifié.

Au sein de ce domaine fluide, on rencontre toutefois certains carrefours assez marqués, comme une anthropologie fondée sur la liberté de conscience et d’intellect et sur l’égalité des droits, et un déisme qui reconnaît l’existence de Dieu, laissant toutefois mobiles les définitions de son identité. Anthropocentrisme et spiritualisme sont donc deux chemins assez balisés dans une carte très variable et mouvante que nous ne sommes pas en mesure d’ébaucher avec rigueur.

Nous, cependant, nous nous contentons simplement de signaler un petit livre intéressant qui a un but très circonscrit, définir la relation entre la franc-maçonnerie et l’Eglise catholique. Entendons-nous tout de suite: il ne s’agit pas d’une analyse historique de cette relation, ni d’une éventuelle contamination entre les deux parties. Il est en effet évident que la maçonnerie a assumé des modèles chrétiens, et même liturgiques. Nous ne devons pas oublier, par exemple, qu’au XVIIe siècle, de nombreuses loges anglaises recrutaient leurs membres et leurs maîtres dans le clergé anglican, tant, il est vrai que l’une des premières et fondamentales «constitutions» maçonniques a été écrite par le pasteur presbytérien James Anderson, mort en 1739. On y affirmait, entre autres choses, qu’un adepte «ne sera jamais un athée stupide ou un libertin irréligieux», même si le credo proposé à la fin était le plus vague possible, «celui d’une religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord».

L’oscillation des contacts entre l’Eglise catholique et la franc-maçonnerie a connu des mouvements très variés, atteignant même l’hostilité ouverte, marquée par l’anticléricalisme d’un côté et les excommunications de l’autre.

En effet, le 28 avril 1738 le pape Clément XII, le florentin Lorenzo Corsini, promulgua le premier document explicite sur la franc-maçonnerie, la Lettre apostolique In eminenti apostolatus specula, dans laquelle il déclarait «se devoir de condamner et d’interdire… les Sociétés précitées, Unions, Réunions, Rencontres, Agrégations ou conventicules de Francs-maçons, ou tout autre nom qu’on leur donne».Une condamnation répétée par les papes suivants, de Benoît XIV jusqu’à Pie IX et Léon XIII, qui affirmmait l’incompatibilité entre l’appartenance à l’Eglise catholique et l’obéissance maçonnique. Lapidaire était le Code de droit Canonique de 1917, dont le canon 2335 récitait: «Ceux qui sont inscrits à la secte maçonnique ou d’autres associations du même genre qui complotent contre l’Eglise ou les autorités Civilss légitimes, encourent ipso facto l’excommunication réservée simpliciter au Saint-Siège».

Le nouveau Code de 1983 tempèrera la formule, évitant la référence explicite à la franc-maçonnerie, conservant la substance de la peine, quoique destinée de façon plus générique, à «celui qui donne son nom à une association qui complote contre l’Eglise» (Canon 1374). Mais le texte eccésial le plus détaillé sur l’inconciliabilité entre l’adhésion à l’Eglise catholique et la franc-maçonnerie est la Declaratio de associationibus massonicci, émise par la Congrégation vaticane pour la doctrine de la Foi, le 26 Novembre 1983, sous la signature du Préfet d’alors le cardinal Joseph Ratzinger (6). Elle précisait justement la valeur de l’assertion du Nouveau Code de droit Canonique, réitérant que restait «inchangé le jugement de l’Église envers les associations maçonniques, parce que leurs principes ont toujours été considérés inconciliables avec la doctrine de l’Église, raison pour laquelle il restait interdit de s’y inscrire».

Le petit livre auquel nous nous référons maintenant est intéressant, parce qu’il inclut – en plus d’une introduction du Préfet de la Congrégation le Cardinal Gerhard Müller – deux articles de commentaires à cette Declaratio, publiés à l’époque par « l’Osservatore Romano » et par « La Civiltà Cattolica », deux documents d’autant d’épiscopats locaux, la Conférence épiscopale allemande (1980) et celle des Philippines (2003). Il s’agit de textes significatifs, car ils abordent les raisons théoriques et pratiques de l’inconciliabilité entre la maçonnerie et le catholicisme, comme les concepts de vérité, de religion, de Dieu, de l’homme et du monde, la spiritualité, l’éthique, les rituels, la tolérance.

La méthode adoptée par les évêques philippins qui articulent leur discours à travers trois trajectoires (celle historique, celle plus explicitement doctrinale et celle des orientations pastorales) est particulièrement significative.

Le tout est rythmé selon le genre catechétique des questions-réponses: il y en a 47, et elles permettent également d’entrer dans les détails, comme la cérémonie d’initiation, les symboles, l’utilisation de la Bible, la relation avec les autres religions, le serment de fraternité, les grades hiérarchiques et ainsi de suite (ndt: ce passage témoignerait-il de la part du cardinal Ravasi d’une connaissance de l’intérieur? C’est à peine une question…).

Ces diverses déclarations d’incompatibilité entre les deux appartenances, à l’Eglise et à la franc-maçonnerie, n’empêchent cependant pas le dialogue, comme l’indique explicitement le document des évêques allemands qui déjà à l’époque énumérait les domaines spécifiques de confrontation, comme la dimension communautaire, la bienfaisance, la lutte contre le matérialisme, la dignité humaine, la connaissance réciproque. On doit également surmonter cette attitude de certains milieux catholiques intégristes, lesquels – pour frapper certains membres de la hiérarchie de l’Eglise qui n’ont pas l’heur de leur plaire – recouraient à l’arme de l’accusation apodictique d’une appartenance maçonnique.

En conclusion, comme l’écrivaient déjà les évêques d’Allemagne, il faut aller au-delà de l’hostilité, des outrages, des préjugés réciproques, parce que «par rapport aux siècles passés, le ton, le niveau et la manière de manifester les différences, ont changé et se sont améliorés, bien que celles-ci perdurent clairement».

Sources : Il Sole 24 Ore/Tradution de Benoit-et-moi/La Porte Latine du 16 février 2016

 

 

Notes

(1) Cardinal Gianfranco Ravasi. Ordonné prêtre en 1966 pour le diocèse de Milan. Formé à la Grégorienne et à l’Institut biblique pontifical, il enseigne l’exégèse biblique à la Faculté de théologie d’Italie septentrionale. Membre de la commission théologique internationale de 1985 à 1995, protonotaire apostolique depuis le 22 juin 1995, il fut aussi membre de la Commission biblique pontificale depuis cette même année 1995, sous la présidence du cardinal Joseph Ratzinger. Bibliste et hébraïsant renommé, il est particulièrement célèbre en Italie, aussi bien pour ses nombreux ouvrages (une cinquantaine) que pour certaines émissions religieuses, notamment de vulgarisation, sur la chaîne Canale 5. Il intervient souvent dans le quotidien italien Avvenire et l’hebdomadaire Famiglia Cristiana. Le 3 septembre 2007, Benoît XVI le nomme président du Conseil pontifical pour la culture ainsi que président des commissions pontificales pour le patrimoine culturel de l’Église et pour l’archéologie sacrée, et à ce titre grand organisateur du Parvis des gentils. Le Pape l’a lui-même consacré évêque à Saint-Pierre de Rome le 29 septembre 2007. Il reçoit alors le titre d’archevêque in partibus de Villamagna in Proconsulari. Il entre en fonction le 15 octobre. Il est créé cardinal par Benoît XVI lors du consistoire du 20 novembre 2010. Il reçoit alors le titre de cardinal-diacre de San Giorgio in Velabro. Il participe au conclave de 2013 qui élit le pape François, celui-ci le maintien dans ses fonctions le 16 mars 2013 comme président du Conseil pontifical de la culture. Le 29 mars 2014, à l’occasion de la confirmation du préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, il est nommé membre de cette congrégation par le pape François.
(2) Film de fiction basé sur le roman best-seller de Colleen McCullough.
(3) Lire à cet effet l’article de M. l’abbé Philippe Toulza « Le Vatican : mystères et certitudes » et « Des francs-maçons au Vatican ?« , Par Arnaud de Lassus in Fideliter n° 199 de janvier-février 2011.
(4) Lire : L’épiscopat français et la franc-maçonnerie du 13 mai 2010, par M. l’abbé de Cacqueray.
(5) Lire, entre autres, la Bulle pontificale In eminenti apostolatus specula du 28 avril 1738 contre la Franc-maçonnerie du pape Clément XII.
(6) Le cardinal Ravasi, créé cardinal par Benoît XVI, n’hésite pas à l’égratigner à propos de la déclaration du cardinal Ratzinger contre la franc-maçonnerie le 26 novembre 1983 : « Certains se sont demandés si la pensée de l’Eglise sur la franc-maçonnerie avait changé parce qu’il n’en est pas fait mention expresse dans le nouveau Code de Droit Canon comme c’était le cas dans l’ancien Code. La Sacrée Congrégation est en mesure de répondre que cet état de fait est dû à un critère utilisé pour la rédaction et qui a été observé également pour d’autres associations, passées de la même façon sous silence, dans la mesure où elles étaient comprises dans des catégories plus larges. Le jugement négatif de l’Eglise sur la franc-maçonnerie demeure donc inchangé parce que ses principes ont toujours été considérés comme incompatibles avec la doctrine de l’Eglise ; c’est pourquoi il reste interdit par l’Eglise de s’y inscrire. Les catholiques qui font partie de la franc-maçonnerie sont en état de péché grave et ne peuvent s’approcher de la Sainte Communion. Les autorités ecclésiastiques locales n’ont pas la faculté d’émettre sur la nature des associations de la franc-maçonnerie un jugement qui entraînerait une dérogation à ce qui est mentionné ci-dessus, conformément à l’esprit de la Déclaration du 17 février 1981 de cette même Sacrée Congrégation. Le Souverain Pontife Jean-Paul II, au cours de l’audience accordée au sous-signé le Cardinal Préfet, a approuvé la présente déclaration adoptée au cours de la réunion ordinaire de cette Sacrée Congrégation et en a ordonné la publication. « 

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