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Pie IX et la « Démocratie Moderne ». Le « Droit Nouveau ». Le Syllabus. Quanta Cura.

publié dans doctrine politique, la doctrine catholique le 7 septembre 2016


Le bref exposé de M l’abbé Bathe sur « le Droit Nouveau et le pape Léon XIII » que vous trouverez dans la dernière livraison de « Doctrine Politique »d’Item et qui a été publié dans « l’Homme Nouveau », m’ a fait penser à l’exposé que je donnais aux séminaristes de Courtalain sur le SYLLABUS du pape Pie IX, dans le cadre de mon cours sur le « Magistère de l’Église ».

Si Léon XIII condamna à juste titre ce qu’on appelle  le DROIT NOUVEAU, Pie IX le faisait déjà très solennellement dans le SYLLABUS.  Dans cet exposé, j’analyse les proposition du SYLLABUS condamnant ce qu’on appelle « la DÉMOCRATIE NOUVELLE », autrement dit « le DROIT NOUVEAU »,  totalement fondé sur la seule raison  humaine à l’exclusion de l’ordre naturel et par conséquent de tout ordre divin. C’est cela l’ORDRE NOUVEAU. C’est l’ordre politique issu de la Révolution   rationaliste.

Qui comprend cela, comprend la politique moderne et craint tout « ralliement », même fomenté par la papauté.

 

PA

 

 

1-    CRITIQUE DE LA DEMOCRATIE

Je pense que Pie IX condamne la « pensée » démocratique en quelques-unes de ses propositions du Syllabus. Celle-ci, tout d’abord « exprimée dans le chapitre VI consacré  aux « Erreurs relatives à la société civile, considérée soit en elle-même, soit dans ses rapports avec l’Église ». Il écrit, c’est la proposition 39ème : « L’État, comme étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune limite » (26).

C’est bien là un principe fondamental de ce que Jean Madiran appelle « la démocratie moderne ».L’Etat est  à lui-même sa propre loi ne reconnaissant aucun principe supérieur à lui-même. La définition que la démocratie moderne  donne de la loi en est la preuve. «  La loi est l’expression de la volonté générale », nullement l’expression de la loi divine. L’Etat ne reconnaît ni le pouvoir divin et ni le droit divin. Il est à lui-même son propre pouvoir, sa propre limite. Il n’a d’autre limite que son bon plaisir.

Mais c’est surtout dans le chapitre VII qui a pour titre : « Erreurs concernant la morale naturelle et chrétienne » que Pie IX fulmine contre l’esprit démocratique, celle qu’on appelle « démocratie moderne ». Lorsqu’il dit, proposition 56,  que « Les lois de la morale n’ont pas besoin de la sanction divine, et il n’est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger »(26),  c’est là une nouvelle  condamnation de la démocratie moderne dont le principe fondamentale est, comme nous venons de le dire,  la définition qu’il donne de la loi, la loi étant rien d’autre que  l’expression de la volonté générale. Pie IX s’oppose bien à ce principe dans sa proposition 56. C’est la même critique qu’il renouvelle lorsqu’il dit dans la préposition 57 : « La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, peuvent et doivent être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique ». Elles  ne sont que l’expression de la volonté générale, indépendante de l’autorité divine ou ecclésiastique. L’Etat légifère indépendamment de la volonté de Dieu.(26). C’est la même condamnation dans la proposition qui suit, la 58ème  : « II ne faut reconnaître d’autres forces que celles qui résident dans la matière, et tout système de morale, toute honnêteté doit consister à accumuler et augmenter ses richesses de toute manière, et à satisfaire ses passions » (26, 28). Cette critique est inhérente au système démocratique tel qu’il est né de la philosophie révolutionnaire. Etonnez-vous alors des abus de pouvoir  des hommes politiques… La malhonnêteté est inhérente au système puisque l’on y  reconnaît dans cette démocratie ni Dieu ni loi morale. La proposition 59 ne fait que confirmer la proposition précédente : « Le droit consiste dans le fait matériel ; tous les devoirs des hommes sont un mot vide de sens, et tous les faits humains ont force de droit » (26). Le pouvoir est la loi, la force est la loi. C’est la loi du plus fort. Enfin la proposition 60 du chapitre VII vise expressément le régime démocratique issu de 1789 « L’autorité n’est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles » Il n’y a pas d’autre pouvoir que celui qui vient du peuple, du nombre. Le pouvoir trouve sa seule justification dans le peuple.(26). C’est tellement faux. Qu’en est-il alors du pouvoir parental ?

Je remarque que toutes ces propositions condamnées sont tirées du document de Pie IX numéroté 26. Quel est-il ? C’est cette allocution très importante de Pie IX du 9 Juin 1862 appelée Maximum quidem

Quel est ce document de Pie IX ?

Analyse.

Plus la royauté du Saint-Père est l’objet de la haine et des coups de la Révolution, plus les évêques et les fidèles du monde entier éprouvent le besoin de l’affirmer par leurs hommages personnels et d’apporter des consolations au cœur de Pie IX.

C’est ainsi que la cérémonie de la canonisation des martyrs japonais fut l’occasion d’une belle manifestation de l’univers catholique. Le 8 juin 1862, jour de la Pentecôte, trois cents évêques, un concours considérable de prêtres et de fidèles entouraient le Souverain Pontife, quand il inscrivit au catalogue des saints les noms de vingt-six martyrs japonais et de Michel de Sanctis. Ce fut une magnifique solennité.

Mais le lendemain fut marqué par un fait non moins important. Pie IX réunit de nouveau autour de lui dans un consistoire tous les évêques accourus à Rome, et, en présence de ce vénérable auditoire, le successeur de Pierre stigmatisa, dans ce style grave, majestueux et énergique qui n’est connu qu’à la cour romaine, les erreurs qui font le tourment de la société présente, et qui ont leur racine dans la négation de l’ordre surnaturel et dans l’empiétement du pouvoir civil sur l’autorité divine confiée à l’Église. L’auditoire, les circonstances, la gravité et le nombre des erreurs condamnées font de cette allocution un des documents doctrinaux les plus importants du pontificat de Pie IX. En voici une courte analyse :

Après s’être félicité de la joie que la solennité de la veille avait apportée à son cœur, le Souverain Pontife va confier ses alarmes à ses frères dans l’épiscopat. Et ses alarmes ne sont pas chimériques. N’y a-t-il pas à cette heure une conspiration diaboliquement ourdie contre la religion et la société ? Jamais les négations n’ont été aussi audacieuses. L’ordre surnaturel est mis à néant ; la raison est la souveraine arbitre de la vérité et de l’erreur ; on proclame l’indépendance absolue en matière de culte ; et d’ailleurs qu’est-ce que Dieu ? Dieu n’est autre que la nature des choses, et partant Il est toujours en train de se faire et de se perfectionner. C’est au fond la négation de Dieu et de toute révélation. De là nos Livres saints sont traités de fables. Il n’est pas étonnant que l’on affirme l’indépendance absolue de l’État civil sur une autorité religieuse si complètement dénaturée.

De pareilles aberrations ont pour conséquence d’effacer la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste, du vrai et du faux, de prendre la force pour la base du droit et de réhabiliter, comme on dit, la matière. La force primant le droit, Pie IX en signale un exemple dans l’absence des évêques du Piémont et du Portugal, qui n’ont point eu la liberté de se rendre à Rome. Après avoir encore une fois affirmé la nécessité de son principat temporel, Pie IX réprouve les erreurs qu’il vient d’énumérer, et invite ses frères dans l’épiscopat à s’opposer énergiquement à l’envahissement du mal, en préservant leurs troupeaux, autant que cela dépend de leur action, des journaux et des livres mauvais, et en portant leur sollicitude sur la formation du clergé et l’éducation de la jeunesse.

Aux graves paroles du Souverain Pontife l’Épiscopat répondit par l’organe du cardinal Mathei, doyen du sacré collège: son adresse exprimait le respect et la soumission des évêques envers le Vicaire de Jésus-Christ, leur admiration pour ses vertus, et la joie qu’ils éprouvaient de se voir en si grand nombre autour de lui. Cette déclaration affirmait deux grands points : l’infaillible et suprême autorité doctrinale du Souverain Pontife, – c’était comme le prélude du concile du Vatican ; elle affirmait non moins énergiquement la nécessité de la souveraineté temporelle du Saint-Siège,c’était la protestation du corps réuni de l’Épiscopat contre les crimes du Piémont et la complicité des puissances européennes.

Par la grave allocution Maxima quidem sont condamnées différentes propositions reprises dans le Syllabus, en particulier le Panthéisme mais aussi, ce qui a trait à mon sujet, la démocratie moderne, les propositions suivantes

XXXIX. L’État, comme étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune limite.

LVI. Les lois de la morale n’ont pas besoin de la sanction divine, et il n’est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger.

LVII. La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, peuvent et doivent être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique.

LVIII. Il ne faut reconnaître d’autres forces que celles qui résident dans la matière ; et tout système de morale, toute honnêteté doit consister à accumuler et augmenter ses richesses de toute manière, et à se livrer aux plaisirs.

LIX. Le droit consiste dans le fait matériel ; tous les devoirs des hommes sont un mot vide de sens, et tous les faits humains ont force de droit.

LX. L’autorité n’est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles.

La même allocution renouvelle en outre la condamnation des erreurs sur le principat romain.

Quanta Cura : Pie IX, dans Quanta Cura,  condamne également la démocratie, la  démocratie moderne qui « bannit la doctrine catholique de la société civile » par le laïcisme. Il écrit

« Et parce que là où la religion est bannie de la société civile, la doctrine et l’autorité de la révélation divine rejetées, la vraie notion de la justice et du droit humain s’obscurcit et se perd elle-même, et la force matérielle prend la place de la vraie justice et du droit légitime, de là vient précisément que certains hommes, ne tenant aucun compte des principes les plus certains de la raison, osent proclamer que :

 

«la volonté du peuple, manifestée par ce qu’ils appellent l’opinion publique ou d’une autre manière, constitue la loi suprême, indépendante de tout droit divin et humain, et que, dans l’ordre politique, les faits accomplis, par cela même qu’ils sont accomplis ont la valeur du droit».

 

Or qui ne voit, qui ne sent très bien qu’une société soustraite aux lois de la religion et de la vraie justice ne peut plus avoir d’autre but que d’amasser, que d’accumuler des richesses, et ne suive d’autre loi, dans tous ses actes, que l’indomptable désir de satisfaire ses passions et de servir ses intérêts ?

 

Explication

 

Réunissons tout d’abord les propositions condamnées relatives à la Démocratie :

« L’État (serait) l’origine et la source de tous les droits, joui(rait) d’un droit qui ne (serait)  circonscrit par aucune limite » ;

« Les lois de la morale n'(auraient) pas besoin de la sanction divine, et il ne (serait ) pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger » ;

« La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, (pourraient)  et (devraient) être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique » :

– « L’autorité ne (serait)  autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles »

On comprendra parfaitement la pensée de Pie IX si l’on a une juste notion de la nouvelle définition de la loi, du « Droit Nouveau » et de la démocratie moderne

Voici l’étude de ces nouvelles notions : Le monde moderne a engendré une notion nouvelle de la démocratie en raison de sa nouvelle définition de la loi.

.A- La loi

On parle aujourd’hui de loi, tout comme hier, avec le même mot mais non avec le même sens que les législateurs de l’antiquité grecque, les psalmistes juifs, les juristes de l’Empire romains, les Pères de l’Eglise grecs et latins, les philosophes et théologiens de l’Europe chrétienne, les légistes du roi de Frances, les canonistes du pape, – et la morale commune.

 

La définition de la loi a été formulée substantiellement de la même manière dans la civilisation « gréco-romaine ». C’était celle que saint Thomas nous résumait comme étant l’expression de la raison : la loi n’est pas autre chose qu’une prescription de la raison pratique chez le chef qui gouverne une communauté parfaite.

Cette conception de la loi fait partie de ce qui a été la « civilisation chrétienne » et de ce qui fut son héritière peu fidèle la « civilisation occidentale ». On peut dire cette conception : « classique ». Elle se définit, comme on le voit par une triple caractéristique :

-elle est un commandement de la raison ;

-elle est en vue du bien commun ;

-et elle est promulguée par une autorité légitime.

 

La rupture avec cette conception « classique » a été brutale à partir du moment où, par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 a été instituée une nouvelle définition : « la loi est l’expression de la volonté générale ». Cette définition balayait la précédente. Elle imposait le subjectivisme. Elle devenait seul la loi. Elle faisait seul la loi. Elle  emportait tout. Elle est la subversion la plus radicale que l’on peut imaginer. Elle ne laisse rien subsister de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel. Elle implique et appelle une barbarie totale, un dénuement moral complet qui ramène l’humanité plus de quarante siècles avant Jésus-Christ, avant le Déluge. Avec une telle définition, il suffira de laisser passer un peu de temps pour retrouver l’état qu’ont connu Sodome et Gomorrhe ! On y est !

 

Et c’est pourquoi Pie IX ne put pas ne pas condamner une telle définition, un  tel subjectivisme.

 

« Et parce que là, dit-il,  où la religion est bannie de la société civile, la doctrine et l’autorité de la révélation divine rejetées, la vraie notion de la justice et du droit humain s’obscurcit et se perd elle-même, et la force matérielle prend la place de la vraie justice et du droit légitime, de là vient précisément que certains hommes, ne tenant aucun compte des principes les plus certains de la raison, osent proclamer que :

 

«la volonté du peuple, manifestée par ce qu’ils appellent l’opinion publique ou d’une autre manière, constitue la loi suprême, indépendante de tout droit divin et humain, et que, dans l’ordre politique, les faits accomplis, par cela même qu’ils sont accomplis ont la valeur du droit».

 

« Or qui ne voit, qui ne sent très bien qu’une société soustraite aux lois de la religion et de la vraie justice ne peut plus avoir d’autre but que d’amasser, que d’accumuler des richesses, et ne suivre d’autre loi, dans tous ses actes, que l’indomptable désir de satisfaire ses passions et de servir ses intérêts ? »

 

C’était prophétique !

 

La loi est-elle l’expression de la volonté générale ; « est-elle l’expression de la conscience collective de l’humanité ? »  de « l’opinion publique ». (NB C’est ce qu’enseignait effectivement l’évêque du diocèse  de Metz dans son bulletin diocésain numéro 150 du Ier mai 1968, page 2).

 

Selon la conception classique de la loi, il existe trois grandes lois générales que les lois décrétées par les Etats (les lois civiles) ont pour fonction d’appliquer aux circonstances géographiques, historiques, ethniques particulières à chaque nation :

-la loi naturelle ou obligation morale de nous comporter conformément à notre nature humaine, telle que nous la connaissons par la raison. Son premier principe est qu’on doit faire le bien et éviter le mal, ce qu’implique de ne pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas que l’on nous fit.

-Le décalogue : ce sont les dix prescriptions morales des Tables de la Loi révélées à Moïse sur le Mont Sinaï.

-La loi d’amour, qui est la loi de NSJC

Ces trois lois communiquent entre elles

Supérieure aux lois civiles, la loi naturelle est la loi primitivement « non écrite ». Elle est écrite dans le Décalogue. On lui donne aussi le nom de « commandements »  de Dieu pour indiquer que l’auteur de la loi naturelle est le Dieu Créateur de la nature humaine. La loi d’amour du Christ n’est pas venue abolir mais parfaire la loi naturelle : sanans et elevans, soignant et élevant, la loi du Christ guérit la loi naturelle de ses déviations accidentelles et l’élève à l’ordre surnaturel.

L’autorité des lois civiles vient alors de ce qu’elles sont une  application concrète de ces trois lois dont Dieu est l’auteur. Pour les incroyants demeurent la loi naturelle, parce que l’auteur en est le « Dieu des philosophes ». Premier moteur et Fin dernière ; ou au moins parce qu’elle leur apparait conforme à la raison et à l’ordre de la nature humaine.

Tel est l’héritage, plus ou moins loyalement gardé et transmis qui a fait les nations d’Europe  et par elle l’ordre mondiale, le progrès humain et l’histoire du monde jusqu’à la démission d’un Occident infidèle et débilité, oubliant jusqu’à  son visage, qui a laissé la place à la confusion, à la désorientation, à la rencontre de la barbarie. C’est ce qu’annonçait déjà Pie IX dans son Quanta Cura…Aujourd’hui, on assiste à des scènes bien pires qu’à Sodome et Gomorrhe…

 

Sans doute la civilisation et le progrès humain avait grandi en s’accompagnant d’imperfections, souvent d’injustices et même de cruautés. Mais transgresser une loi n’est pas la même chose que l’ignorer ou la rejeter. Manquer de fidélité à une loi que néanmoins on reconnait comme devant être obéie n’est pas la même chose que prétendre qu’il n’existe aucune loi devant être universellement observée au-dessus du subjectivisme individuel.  Même les barbares de l’antiquité n’avaient pas, semble-t-il, nié la loi naturelle dans toute sa généralité

 

Or lorsque l’on vous dit que  la loi n’est que  « l’expression de la volonté générale » ou « l’expression de la conscience collective de l’humanité » ou l’expression de l’opinion publique » c’est dire équivalemment que l’humanité ne reconnait plus aucune loi supérieure à l’homme et indépendante de sa volonté. C’est affirmer pour l’homme une indépendance absolue mais insensée ; c’est faire de l’homme un Dieu ou vouloir lui donner des pouvoirs divins…

 

Ainsi la loi humaine s’est déclarée affranchie de l’obligation d’être une traduction concrète des principes généraux de la loi de Dieu. S’il lui arrive de ne pas la contredire, ce sera par l’effet d’une coïncidence accidentelle et non par l’effet d’une dépendance librement acceptée.

 

La modernité méconnait en effet entièrement le fait qu’il existe une loi de Dieu énoncée d’une part dans le Décalogue et dans l’Evangile. En matière religieuse, elle ne reconnait en somme que des opinions, toutes respectables, mais toutes facultatives ; il n’y a d’obligation morale que subjective, celle que chacun s’est formé selon son expérience et sa réflexion. Entre ces subjectivités, il est souhaitable, certes,   que s’établisse un dialogue permettant des échanges, des remises en cause, des enrichissements réciproques. En dehors de la loi morale que chacun s’impose (ou non) à lui-même et qui reste donc d’une portée strictement individuelle, il ne peut y avoir de loi commune (il en faut bien en société) que résultant d’un consensus obtenu au bout d’un débat. Ainsi la loi civile est l’expression de la volonté générale ; et il n’existe aucune obligation qui soit supérieure à la loi civile.

 

Cet état d’esprit, souvent érigé en doctrine, a fini par déteindre sur la pensée et la vie religieuse et par estomper toute notion d’une loi de Dieu ayant une réalité objective et le caractère d’une obligation morale.

Ainsi la modernité se rebelle contre la rigidité, contre le dogmatisme, l’intolérance d’une telle affirmation, et la frappe de discrédit et d’exclusion, parce qu’elle dépasse les conditions mêmes du dialogue, du seul qui soit admis, obligatoirement limité à une rencontre des subjectivités.

 

Avec cette définition de la loi « révolutionnaire », la modernité a perdu la loi naturelle, le Décalogue presque entier et sa signification. Nous avons perdu le sens naturel de son obligation objective, immuable, universelle. C’est la racine et c’est le principe de l’hérésie moderne, de ce que l’on pourrait appeler la « dé-création ». Alors nous vivons sans principe et sans principes, nous sommes condamnés à mort, nous retournons au néant. Et c’est pourquoi sont tellement justes ces paroles de Jean Madiran : « nous vivons quelque chose de beaucoup plus profond qu’une crise politique, intellectuelle ou morale ; de plus profond qu’une crise de civilisation.  Nous vivons ce que Péguy voyait naître et qu’il nommait une « décréation ». Dans l’évolution actuelle du monde, on aperçoit la domination à demi souterraine, d’une haine atroce et générale, une haine de la nation, une haine de la famille, une haine du mariage, une haine de l’homme racheté, une haine de la nature créée (NdlR la théorie du genre). La signature devient plus lisible que jamais.(NdlR Le démon, Satan). Il appartient aux autorités temporelles et aux autorités spirituelles de la dénoncer. Leur carence empêche les peuple de la voir » ( Dialogue du pavillon bleu. p.149)

 

Mais cette nouvelle conception de la loi a d’autres conséquences graves en matière politique. Elle  impose à l’Occident une nouvelle définition de la démocratie qui semble bien avoir été condamnée déjà par Pie IX

 

B- La loi « nouvelle » et la démocratie moderne

 

Et plus particulièrement dans le chapitre VI du Syllabus consacré  aux « Erreurs relatives à la société civile, considérée soit en elle-même, soit dans ses rapports avec l’Église ». Il condamne cette proposition, c’est la proposition 39ème : « L’État, comme étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune limite » (26).

C’est bien là un des principes fondamentaux de ce que Jean Madiran appelle « la démocratie moderne ». L’Etat est  à lui-même sa propre loi ne reconnaissant aucun principe supérieur à lui-même. L’Etat ne reconnaît ni le pouvoir divin et ni le droit divin. Il est à lui-même son propre pouvoir, sa propre limite. Il n’a d’autre limite que son bon plaisir. Il n’est circonscrit par rien que par sa propre volonté toute puissante.

Pie IX dira aussi, c’est la  proposition 56,  que « Les lois de la morale n’ont pas besoin de la sanction divine, et il n’est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger »(26) Il dira de même dans la préposition 57 : « La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, peuvent et doivent être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique ». Elles  ne sont que l’expression de la volonté générale, indépendante de l’autorité divine ou ecclésiastique. L’Etat légifère indépendamment de la volonté de Dieu. (26). Cette critique est inhérente au système démocratique tel qu’il est né de l’Assemblée Constituante révolutionnaire… On ne  reconnaît dans cette démocratie ni Dieu ni loi morale. La proposition 59 ne fait que confirmer la chose : « Le droit consiste dans le fait matériel ; tous les devoirs des hommes sont un mot vide de sens, et tous les faits humains ont force de droit » (26). Le pouvoir est la loi, la force est la loi, fait la loi. Le nombre est la loi. Ce que condamnera Pie IX dans sa proposition 60 : « L’autorité n’est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles » Il n’y a pas d’autre pouvoir que celui qui vient du nombre. Le nombre est la seule justification du pouvoir. (26). C’est tellement faux ! Quant est-il alors du pouvoir parental ?

NB : Je remarque que toutes ces propositions condamnées ici sont tirées du document de Pie IX numéroté 26. Quel est-il ? C’est cette allocution très importante de Pie IX du 9 Juin 1862 appelée Maximum quidem

La  pensée de Pie IX nous permettra de mieux comprendre ce que Jean Madiran appelle dans ses livres la « démocratie moderne ».

Que faut-il entendre par là ?

Il existe deux démocraties, l’une que Jean Madiran appelle « classique » et l’autre « moderne ».

Classique, la démocratie est celle qui a existé de tout temps ou presque, chez les Grecs comme chez les Romains. Elle est éternelle : elle est un mode de désignation des gouvernants. La désignation des gouvernants par les gouvernés, selon divers systèmes électoraux, variables et variés. La démocratie classique consiste à n’avoir dans la cité aucune autorité politique dont le titulaire ne soit directement ou indirectement désigné, pour un temps limité, par les citoyens qui sont tous électeurs.

Moderne, elle fonctionne comme la classique. Apparemment, c’est la même. En réalité, c’est autre chose.

Premièrement, elle est exclusive de toute autre mode de gouvernement…la désignation des gouvernants par les gouvernés est réputée le seul mode de désignation qui soit juste : les régimes non démocratiques deviennent tous immoraux. Une telle démocratie n’est plus un régime parmi d’autres, il est le seul régime légitime, le seul juste. Il ne peut y avoir de justice sans démocratie

Secondement, la désignation des gouvernants par les gouvernés est le seule fondement de la légitimité car le « principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » et « la loi est l’expression de la volonté générale », stipule la Déclaration des Droits de 1789, acte de naissance de la démocratie moderne. Toute souveraineté, toute loi qui invoquent un autre fondement et non pas celui-là sont donc tyranniques ; une loi, une souveraineté ne peuvent jamais l’être dès lors qu’elles sont fondées sur la volonté générale.

Ainsi la démocratie moderne s’annexe la démocratie classique, elle porte son masque…Mais elle la dénature en raison de sa définition de la légitimité basée sur le seul nombre, « la volonté générale ».

Troisièmement. Conséquence : le pouvoir en démocratie moderne, devient un pouvoir illimité. Il le devient en droit, en droit démocratique. Quand la légitimité du pouvoir tient  tout entière dans la seule désignation de celui qui est appelé à l’exercer, un tel pouvoir est un droit sans limite (C’est expressément ce que dit Pie IX, dans sa proposition 39 ) : qui, en droit ou quoi le limiterait ? En fait il reste limité par des habitudes, des traditions, des réalités, mais qui sont toutes étrangères au droit démocratique moderne et que celui-ci tend à supprimer par une continuelle démocratisation de la société (Voyez aujourd’hui, l’action que mène le socialisme contre la famille et qui aurait été mené tout pareillement par la droite. Le droit se détermine dans les officines maçonniques (présentes d’un côté comme de l’autre).

Ainsi dans la démocratie moderne, le droit (nouveau) entre en conflit avec la nature, la démocratisation illimitée « est le progrès indéfini du droit par une évolution qui déclasse, discrédite puis détruit les sociétés naturelles (famille)

Que la « loi » soit « l’expression de la volonté générale » et seulement cela, et nullement autre chose, est une grande nouveauté dans l’histoire du monde. Cette proclamation de 1789 n’a pas inventé la démocratie, elle lui a donné un autre contenu. Elle a imposé dans la vie politique une morale nouvelle et un nouveau droit que condamne Pie IX.

Toujours, dans toutes les civilisations jusqu’en 1789, la loi était l’expression d’une réalité supérieure à l’homme, d’un bien objectif, d’un bien commun que l’homme traduisait. La loi était l’expression humaine de la volonté de Dieu sur les hommes, conformément à la nature qu’il leur a donnée, à la destinée qu’il leur a donnée. Quand Dieu était inconnu ou méconnu, la loi demeurait néanmoins l’expression d’une raison, d’une justice, d’un ordre supérieur aux volontés humaines.

Ainsi la légitimité de la loi, celle du pouvoir, celle des gouvernants résidaient dans leur conformité à cet ordre supérieur, indépendamment d’une désignation régulière des magistrats et des législateurs. La légitimité, c’est-à-dire la justice, se fonde sur le bien commun, i.e. sur le décalogue, c’est-à-dire en Dieu. Avec la démocratie moderne, tout cela est fini. Le pape Pie IX condamne clairement une telle démocratie.

Date terrible dans l’histoire du monde, la date où des hommes ont décidé que désormais la loi serait « l’expression de la volonté générale », i.e. l’expression de la volonté des hommes ; la date où les hommes ont décidé de se donner à eux-mêmes leur loi ; la date où ils ont décliné au pluriel le péché originel. Péché originel où Adam détermine « à soi-même ce qui est bon ou ce qui est mal de faire » sans plus considérer l’ordre divin.

Révolte essentielle par laquelle l’homme veut à lui-même se donner sa loi morale, écartant celle qu’il avait reçue de Dieu. En 1789, cette apostasie s’est faite collective. Elle est devenue le fondement du droit politique nouveau. La démocratie moderne, c’est la démocratie classique en état de péché mortelle.

Démocratie moderne. Démocratie totalitaire.

Cette démocratie moderne est de soi totalitaire. Elle ne peut pas ne pas l’être.

Quand les hommes décident qu’il n’y a plus rien qui soit supérieur à la souveraineté populaire et à la loi du nombre, ils font bien autre chose que de changer de constitution politique, ils accomplissent une révolution morale et religieuse, et non pas à vrai dire une révolution, mais la révolution, la seule, celle de la créature qui refuse, depuis Adam, sa condition de dépendance. A la place des tables de la loi de Moïse, du Dieu des chrétiens, il ne reste que l’homme, collectivement émancipé, maître de son destin, juge suprême du bien et du mal : juché sur lui-même et vidé de lui-même ; suffisamment aliéné, anéanti, effacé pour disparaitre dans la nuit de tout totalitarisme. (Cf « la pensée politique de JP II » ch. 1)

Et pourquoi cela ? Parce que la démocratie classique respecte le droit alors que la démocratie  moderne crée le droit selon son bon plaisir.

La démocratie moderne est d’une certaine manière religieuse : en ce sens qu’elle remplace les religions par la religion de l’homme qui collectivement se fait Dieu. Ne reconnaissant aucune limite qui lui soit extérieure, aucune valeur qui lui soit supérieure, aucun autre droit qui puisse lui résister, elle suscite une extension indéfinie de l’Etat totalitaire, l’aboutissement de sa logique interne la plus fondamentale. Parce que la loi est l’expression de la volonté générale, la démocratie moderne ne tolère ni supérieurs, ni pairs, ni semblables. Elle est totalitaire. Elle peut seul trancher en droit du bien et du mal, du juste et de l’injuste, elle n’admet que les libertés et garanties qu’elle octroie et plus volontiers les suspend. Elle interdit jusqu’à la remise en question de son principe : l’adversaire de la démocratie est un sacrilège à qui l’on retire au moins virtuellement le droit de cité.

Ainsi ce qui est inacceptable dans la démocratie moderne, ce n’est pas la démocratie, ce n’est pas le mode de désignation des gouvernants, c’est l’athéisme de la légitimité et du droit. Voyez ! Tout se tient !  Un régime aristocratique ou monarchique qui serait laïque et athée serait aussi tyrannique et inacceptable que la démocratie totalitaire ; et pour les mêmes motifs.

 

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