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Entraide et Tradition

L’inévitable rupture entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire en France

publié dans regards sur le monde le 18 juillet 2017


 

L’INÉVITABLE RUPTURE
(éditorial du Général Martinez)

 

Jamais un État en situation de guerre n’aura fait subir aux forces armées qui protègent la nation une diète aussi insensée et imprudente. L’annonce d’une coupe de 850 M€ du budget 2017 des armées qui représentent, en fait, les surcoûts des OPEX (opérations extérieures) et des OPINT (opérations intérieures) – non budgétés, il faut le souligner, car seuls 450 M€ l’ont été alors que le véritable coût est 1,3 Md€ – est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Il est vrai que le président de la République ne s’attendait pas à ce que le Chef d’état-major des armées (CEMA), le général Pierre de Villiers, exprime sa désapprobation à la suite de cette décision prise par le gouvernement. Complètement étranger à l’institution militaire et à la culture qui habite ceux à qui la France a confié son épée, il vient de découvrir qu’au sommet de la hiérarchie militaire un général, voire des généraux, ose(nt), lorsque l’intérêt supérieur du pays et de la nation est en cause comme c’est le cas aujourd’hui, exprimer son (leur) désaccord. Alors, il a cru bon de devoir, lors de son discours aux armées, la veille de la fête nationale, humilier le CEMA avec des propos inappropriés mais révélateurs d’un orgueil démesuré qui ne supporte pas la contradiction, rappelant notamment qu’« il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique ». Peut-on relever que le CEMA s’est exprimé – et c’est un devoir légitime – à huis-clos devant les parlementaires concernés par le sujet ? Peut-on ajouter que le président de la commission qui l’auditionnait a regretté les mesures prises par le gouvernement et a donc approuvé les conclusions émises ? N’est-ce pas le président de la République lui-même qui, par sa déclaration brutale, étale ce débat sur la place publique ? Mais peut-être est-ce par calcul afin de signifier au CEMA que son crime de lèse-majesté n’a qu’une issue, son départ.

Cependant, il n’est pas certain que le président sorte grandi de cet incident. Rappeler, en effet, sur un ton condescendant et méprisant que le chef, c’est lui peut non seulement être considéré comme une réaction d’enfant gâté mais constitue, à l’évidence pour qui a commandé des hommes, une faute qui se traduit par une marque non pas d’autorité mais d’autoritarisme. Mais cette réaction se révèle être surtout une marque de faiblesse préjudiciable pour la confiance à son égard.

Permettons quelques observations probablement désagréables mais difficilement contestables.

Première anomalie, s’agissant de la répartition de cette purge budgétaire pour 2017 entre les ministères, les armées se voient appliquer injustement 20% du total alors qu’en toute équité cela aurait dû représenter 13%. Les armées sont donc doublement pénalisées.

Ensuite, on peut s’étonner que le Premier ministre, « découvre » avec le rapport de la Cour des Comptes le déficit à combler pour 2017 pour respecter la volonté de Bruxelles et le qualifie d’inacceptable. En effet, le président de la République, héritier direct du quinquennat précédent en matière économique n’était-il pas à la manœuvre jusqu’à la fin du mois d’août 2016 et donc responsable au moins partiellement de cette situation ? Enfin, last but not least − comme dirait le président qui s’exprime beaucoup en anglais au lieu de le faire dans la langue de Molière pour défendre et faire rayonner la langue française − il est aujourd’hui au pouvoir grâce à un coup d’État institutionnel, n’ayant, de surcroît, obtenu que 18% des voix des électeurs inscrits au premier tour de l’élection présidentielle.

Et pour couronner le tout, avoir jeté l’opprobre sur la France en accusant notre pays d’avoir commis un crime contre l’humanité en évoquant la colonisation restera pour les patriotes – notamment au sein du monde militaire – une tache indélébile.

Cela dit, ce sérieux désaccord entre le CEMA et le Chef de l’État révèle simplement le niveau atteint par l’incompréhension et le décalage énorme qui s’est instauré entre le militaire et le politique en matière de conception de la gouvernance du pays sur le long terme qui doit viser la sécurité à l’extérieur et la concorde à l’intérieur. Il y a aujourd’hui, incontestablement, un fossé qui s’est creusé et qui sépare l’approche des problèmes du monde, et par voie de conséquence du pays, entre le militaire et le politique dont les logiques et les horizons sont par nature différents.

Le premier voit loin et la permanence de la défense du pays et de ses intérêts, la sécurité et la protection de la nation restent un tourment constant qui dépasse le temps présent et s’inscrit dans le temps long.

Le second détient le pouvoir après avoir gagné des élections qui consacrent généralement des ambitions personnelles mais l’exerce le plus souvent soumis au cours des événements qu’il ne maîtrise pas toujours et qui le maintient dans une vision qui, la plupart de temps, ne dépasse pas le court terme et qui s’inscrit donc dans le temps court.

Mais le destin du peuple, le destin de la nation, s’inscrivent dans le temps long.

Alors, s’agissant de la sécurité à l’extérieur, chacun sait que depuis très longtemps le budget de nos forces armées a servi de variable d’ajustement et il faut reconnaître que depuis la fin de la Guerre froide la situation n’a fait qu’empirer, la détérioration de nos capacités opérationnelles ayant atteint un niveau critique mettant en danger la vie de nos soldats engagés en opérations. Cette détérioration a d’ailleurs déjà mené à une rupture irréversible des capacités dont la conséquence pour nos forces armées se traduit par un déclassement stratégique extrêmement préjudiciable pour la France et dangereux pour la défense de nos intérêts dans le monde.

C’est la conséquence du relâchement de l’effort de défense qui en une trentaine d’années est passé de 3% à 1,5% du PIB.

Et les promesses de relever cette part du PIB à 2%, à l’horizon… 2025, sont indécentes compte tenu de l’état plus que préoccupant de nos forces armées. Et c’était le devoir du CEMA de le dire.

Quant à la concorde à l’intérieur, elle dépend essentiellement du niveau de cohérence interne de la société qui se caractérise par sa culture et donc son identité. Force est de constater que la société française n’est plus aujourd’hui une société apaisée et ne le sera plus avant longtemps en raison de la fracture identitaire qui lui est imposée contre son gré avec une immigration de peuplement qui a marqué les quatre dernières décennies et à laquelle il faut ajouter aujourd’hui la submersion migratoire qui frappe l’Europe, sans réaction de l’Union européenne ou des chefs d’État européens, à l’exception de ceux du Groupe de Visegrad.

Circonstance aggravante, cette immigration de peuplement, complétée par cette submersion migratoire africaine, véhiculent une culture hostile à la nôtre et incompatible avec la démocratie.

Refuser de le comprendre met en sérieux danger l’avenir de la nation et de l’Europe.

Le terrorisme islamique qui sévit le confirme et nos forces armées exsangues sont engagées également sur le territoire national alors qu’elles n’ont jamais été autant sollicitées sur les théâtres extérieurs depuis la fin de la Guerre froide et alors qu’elles ont perdu avec les purges engagées au cours des deux derniers quinquennats 70.000 hommes !

Alors quel sera le dénouement de cette confrontation entre le président de la République et le CEMA, puisque ce dernier est convoqué le 21 juillet à l’Elysée ? Le président recevra-t-il le général Pierre de Villiers pour lui réitérer son mécontentement et pour exiger sa démission – seconde humiliation – ou pour, considérant qu’une large majorité de Français approuve le général, passer l’éponge ?

Une chose est certaine : le CEMA a été humilié publiquement et ceux qui portent l’uniforme ou qui l’ont porté se sentent offensés car il ne s’agit pas d’une lutte engagée pour des intérêts personnels ou pour des intérêts propres aux armées mais pour la défense de la France et de son peuple aujourd’hui en guerre. Ne pas vouloir le comprendre est irresponsable et augure mal de l’aptitude du chef de l’État à appréhender les vraies menaces qui pèsent sur la nation.

Il serait donc logique que le CEMA décide de démissionner et le fasse savoir avant de se rendre à cette convocation.

Sans remettre en cause la primauté du civil sur le militaire, il convient cependant de rappeler que les forces armées exercent un sacerdoce au service avant tout du Peuple, quels qu’en soient ses représentants.

Cela dit, cette situation de crise est à rapprocher de celle qui s’est déjà produite il y a deux ans et au cours de laquelle, pour des raisons portant sur des réductions importantes d’effectifs décidées alors que la France est en guerre, le CEMA et les chefs des trois armées (Terre, Air, Mer) ont déjà failli démissionner. Le ministre de la Défense avait alors su exercer son rôle notamment de médiation et convaincre le président de la République.

Aujourd’hui, deux mois après le début du quinquennat, nous en sommes déjà à un second ministre, non plus de la Défense mais des Armées, court-circuité car son champ d’action a été réduit, le président ayant décidé de s’accaparer toutes ces prérogatives, avec le risque évident d’être en permanence en première ligne.

On ne voit donc pas pourquoi les trois autres chefs des armées de Terre, de l’Air et de la Marine, solidaires du CEMA, pourraient ne pas le suivre cette fois-ci en démissionnant également. Une crise serait alors ouverte mais qui aurait le mérite de créer un choc pour rappeler à nos élites politiques leurs devoirs à l’égard de la nation en sérieux danger sur son propre sol. Des drames sont, en effet, en train de se préparer et les responsables politiques ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Avec mon essai « Quand la Grande Muette prendra la parole » (éd. Apopsix), préfacé par Ivan Rioufol, nous sommes dans l’actualité et dans le vif du sujet.

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