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Entraide et Tradition

La joie dans la doctrine de saint Thomas

publié dans la doctrine catholique le 21 décembre 2019


La joie selon Saint Thomas d’Aquin

Saint Thomas traite expressément de la joie dans la Somme dans la seconde partie, la IIa IIae, à l’article 28. Il y consacre quatre questions :
-la joie est-elle un effet de la charité
-cette joie est-elle compatible avec la tristesse
-peut-elle être plénière
-est-elle une vertu.

La joie est, pour saint Thomas, un des trois effets intérieurs de la charité. Avec la joie,( c’est la question 28) nous avons également, la paix (C’est la question 29), la miséricorde (C’est la question 30). Il y a aussi les effets extérieurs de la charité qui sont la bienfaisance (C’est la question 31) l’aumône (c’est la question 32) la correction fraternelle (C’est la question 33)
Nous allons étudier la joie et les vices opposés à la joie de la charité qui sont l’acédie étudiée par saint Thomas à la question 35 et la jalousie étudiée à la question 36.

§1- Et tout d’abord de la joie.

A- La joie est-elle un effet de la Charité ?
Saint Thomas expose tout d’abord des objections. Il en propose trois :

1. « Il ne semble pas, car l’absence de ce qu’on aime produit de la tristesse plutôt que de la joie. Mais Dieu, que nous aimons par la charité, est loin de nous, tant que nous sommes en cette vie. Comme dit S. Paul (2 Co 5, 6): » Aussi longtemps que nous sommes dans notre corps, nous sommes loin du Seigneur. » Donc la charité produit en nous de la tristesse plutôt que de la joie. »
Cette objection est intéressante car elle me permet déjà de dire que, dans la pensée de saint Thomas, la joie exige, à tout le moins, une « présence » de l’objet aimé. L’absence de l’objet aimé est raison de la tristesse de l’âme. Par contre sa présence cause sa joie. On peut comprendre très facilement cela dans l’exemple de deux êtres aimants, aimés. La présence de l’un entraine la joie de l’autre et vice versa, l’absence de l’un entraine la tristesse de l’autre. Saint Thomas dit très clairement : « l’absence ce qu’on aime produit de la tristesse plutôt que de la joie ».
Mais nous le savons, la charité est une amitié entre Dieu et l’homme, de par la volonté expresse de Dieu, elle a pour objet Dieu lui-même aimé pour lui-même en raison de sa Bonté infinie. Mais il est loin de nous Aussi Dieu que nous aimons en raison de la charité ne peut être raison de notre joie puisque le bien aimé par la charité est loin de nous. La charité est donc principe de tristesse et non de joie. « Donc la charité produit en nous de la tristesse plutôt que de la joie. »
Saint Thomas exprime une seconde objection :

2. C’est surtout par la charité que nous méritons la béatitude. Mais parmi ce qui nous obtient ce résultat, on doit compter les larmes, selon cette parole en S. Matthieu (5, 5): Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Or les larmes expriment la tristesse. Celle-ci est donc plus que la joie un effet de la charité.
Cette objection est basée sur la notion de béatitude qui nous est méritée par la charité. Or la béatitude est principe de joie. C’est le sens même du mot : « bienheureux ». Mais pourtant parmi les béatitudes, on trouve : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ». Or les larmes expriment plutôt la tristesse. Ainsi la charité qui nous mérite la béatitude ne peut être cause de la joie.
Enfin saint Thomas exprime une troisième objection :

3. La charité, on l’a montré, est une vertu distincte de l’espérance. Or c’est de cette vertu que procède la joie selon S. Paul (Rm 12, 12): » Soyez joyeux dans l’espérance. » La joie n’est donc pas un effet de la charité ». mais plutôt de l’espérance
Cette objection est fondée sur la distinction entre la charité et l’espérance. La charité n’est pas l’espérance. Ce sont deux vertus distinctes. Or il est dit dans le NT, c’est une phrase de saint Paul : « Soyez joyeux dans l’espérance » (Rm 12 12). La joie ne serait donc pas un effet de la charité mais bien de l’espérance.
Toutefois, c’est le sed contra de l’article Ium , l’Ecriture Sainte semble plutôt attribuer la joie à la charité selon l’argument suivant : L’Esprit Saint met dans nos cœurs la charité. Pour S. Paul (Rm 5, 5), « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné « . Or la joie est produite en nous par cet Esprit, selon une autre parole de l’Apôtre (Rm 14, 17): « Le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture et de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit. » « Par conséquent la charité aussi est cause de joie ».

Que faut-il conclure ?

Saint Thomas va nous le dire dans son dicendum quod (on doit dire que)
Il ne faut pas opposés ces arguments scripturaires entre eux. Ils sont tous vraies. Mais il faut simplement distinguer. La joie et la tristesse procède l’une et l’autre de l’amour, « mais pour des motifs opposés ».
Nous allons trouver une parfaite définition de la joie, sa raison profonde ainsi qu’une parfaite définition de la tristesse dans l’âme et sa raison.
Sain Thomas dit : « La joie est causée par l’amour, ou bien parce que celui que nous aimons est présent, ou bien encore parce que lui-même est en possession de son bien propre, et le conserve ».

1- « ou bien parce que celui que nous aimons est présent » :
La joie est causée par la présence de l’objet aimé, nous dit tout d’abord saint Thomas. Et c’est le cas, grâce à la charité : par la charité qui a pour objet Dieu, l’âme jouit de la présence de Dieu qu’elle aime puisque, par la grâce, Dieu habite dans l’âme humaine d’une manière toute spéciale et intime, à titre d’ami. « Quiconque demeure dans la Charité, demeure en Dieu, nous dit saint Jean et Dieu en Lui » (I Jn 4 16). Nous pourrions multiplier les citations scripturaires.
La joie est causée, nous dit saint Thomas, par la présence de l’objet aimé.
Et cette présence de l’objet aimé, c’est la définition même de la vertu de charité. C’est sa raison. La charité est une amitié. L’amitié est un amour de bienveillance, i.e. elle veut du bien à l’être aimé. Mais l’amitié exige en outre que cette bienveillance soit réciproque entre les amis : réciprocité qui est elle-même fondée sur une certaine communauté de vie, permettant les échanges. Or il existe quelque chose de commun entre Dieu et l’homme du fait que Dieu se propose de communiquer à l’homme sa propre béatitude : « par lui, vous êtes appelés à entrer dans la société de son Fils, nous dit saint Paul (1 Cor 1 9). C’est sur cette base qu’est fondée la Charité : elle est une amitié entre Dieu et l’homme. Et dans cette amitié créée par la charité, nous sommes en possession de Dieu d’une manière imparfaite ici bas et d’une manière parfaite au ciel où les élus contemplent sa face (Apoc 22 3)
Et donc Saint Thomas a raison de dire que la « joie est causé par l’amour » qui est raison de la présence de l’objet aimé dans l’âme.

2- » ou bien encore parce que lui-même – i.e. celui que nous aimons – est en possession de son bien propre, et le conserve ». (vel etiam propter quod ipsi bono amato proprium bonum inest et conservatur)
Cette définition de la joie est merveilleuse. Elle vaut pour tout amour d’amitié, pour tout amour entre époux, pour l’amour de Dieu. La raison de l’amitié c’est la noblesse de la personne aimée. En cette noblesse, se trouve la joie de la personne aimante. Il faut attirer votre attention sur le terme utilisé par saint Thomas. Il parle de « proprium bonum » :

Donc la joie dérive de l’amour
– soit en raison de la présence de l’être aimé
-soit lorsque l’on se réjouit du « bien » de l’être aimé, de sa richesse (morale), de son propre bonheur.
Et bien la charité procure la joie de cette double manière : elle se réjouit du bonheur de Dieu et cette joie est d’autant plus intense qu’elle sait le bonheur de Dieu parfait et immuable ; puis elle jouit de la présence de Dieu qu’elle aime puisque par la grâce, Dieu habite dans son âme, d’une manière toute spéciale et intime, à titre d’ami. Comme je l’ai dit tout à l’heure : « quiconque demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui » (I Jn 4 16)
Nous nous réjouissons du bonheur de Dieu pour lui-même, puis de la participation qui nous est accordée à ce bonheur divin, Dieu présent en nos âmes.

« Ce second motif, nous dit saint Thomas, concerne surtout l’amour de bienveillance qui nous rend joyeux du bien-être de notre ami, même en son absence ». En latin on a « aliquis gaudet de amico prospere se habente etiam si sit absens »
Cette joie vaut tant pour Dieu que pour un être aimé, par exemple son épouse, son époux. On se réjouit de « son bien être », de ses qualités, de sa perfection, de sa bonté. La joie de l’époux ce sont les qualités de l’épouse, c’est sa maternité, elle est principe de vie, « ciboire de vie », c’est sa propre joie que lui donne son propre époux, ses enfants, sa demeure, sa maisonnée…etc
Retenez bien ce deuxième aspect de la joie : « parce que lui-même – i.e. celui que nous aimons – est en possession de son bien propre, et le conserve ».

Je dirais volontiers que la perfection de l’être aimé est la raison de la joie de l’être aimant. Plus l’être aimé progresse en vertu et conserve cette perfection, plus la joie est grande dans l’âme de l’être aimant.
Donc plus le bien de la personne aimé est immense et immuable, plus la joie de l’être aimant est grande…puisque c’est le « bien être » de l’aimé qui est raison de la joie de l’aimant. C’est pourquoi il est bien vrai de dire que la joie spirituelle qui vient de Dieu est causée aussi par la charité. Plus on aime Dieu pour lui-même en raison de ce qu’il est en lui-même, bien souverain et immuable, plus une âme est dans la joie. C’’est la joie que connaisse les saints.

Ceci étant dit, on comprend que Saint Thomas puisse écrire que la tristesse procède aussi de la charité : « l’amour engendre la tristesse,
-« soit parce que celui qu’on aime est absent »,
L’âme est triste en raison de l’absence de l’objet aimé. Plus l’objet est aimé, plus l’âme est triste de son absence. La tristesse a bien son principe aussi dans l’amour. C’est bien la charité qui est au principe de cette tristesse.
-« soit encore parce que celui à qui nous voulons du bien est privé de son bien ou accablé de quelque mal ».

C’est bien également l’amour qui est principe de cette tristesse. L’âme d’une maman est triste de voir son fils ne pas marcher selon le bien, dans le bien, soit de son être propre, soit du bien familial qu’il trahit par un agir déréglé, désordonné. Cette tristesse est d’autant plus sentie que l’amour du bien et l’amour du patrimoine familial est grand dans le cœur de cette maman.

Il en est de même d’un mal physique : une mère, un père sont affligés du mal de leur enfant. Et cette tristesse prend son principe dans leur amour pour leur enfant.
Fort de cette doctrine sur la joie, on peut répondre aux trois objections de saint Thomas.
La joie est-elle l’effet de la charité ?

Il ne semble pas, dit saint Thomas. Parce que Dieu, dans le cheminement de cette vie, est absent de nous. Or la présence est principe de joie. Il est loin de nous tant que nous sommes en cette vie. En ce sens que nous n’avons pas de Dieu, ici bas, une claire vision. Certes. « . Mais, dit saint Thomas, dan sa réponse : « Dieu, même en cette vie, est présent à ceux qui l’aiment, par la grâce qui le fait habiter en eux ».
La seconde objection était tiré des larmes de la béatitude : « bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ». Il ne faut pas en conclure que la charité, mérite de la béatitude, est principe de tristesse, car ces larmes et la joie spirituelle proviennent de la même charité « car c’est pour une même raison qu’on se réjouit d’un bien, et qu’on s’attriste de ce qui s’y oppose ». La charité nous fait aimer le bien comme elle nous fait nous attrister devant tout ce qui s’y oppose.

La troisième objection est fondée sur la distinction entre la charité et l’espérance. Or saint Paul dit qu’il faut être joyeux dans l’espérance (Rm 12, 12): « Soyez joyeux dans l’espérance. ». Ergo.
Saint Thomas répond dans le ad 3 : « La joie spirituelle qui a Dieu pour objet peut avoir deux formes, suivant qu’on se réjouit du bien divin en lui-même, ou de ce même bien pour autant qu’on y participe ».
Donc nous nous réjouissons du bonheur de Dieu pour lui-même, puis de la participation qui nous est accordée à ce bonheur divin. De ces deux formes, « La première de ces joies est la meilleure, la plus noble parce que désintéressée et c’est celle là qui procède principalement de la charité. « Elle a sa source primordiale, dit saint Thomas dans la charité »; mais la seconde joie, plus intéressée « provient de l’espérance », en vertu de laquelle nous aspirons à partager le bonheur divin, « par laquelle, dit saint Thomas, nous attendons de jouir du bien divin ». « Toutefois, conclut saint Thomas, même cette jouissance parfaite ou imparfaite ne sera obtenue qu’à proportion de notre charité ».

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