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Contraception, avortement (2):La dimension sociale, morale et politique de la contraception

Contraception, avortement (2):La dimension sociale, morale et politique de la contraception

publié dans la doctrine catholique le 22 mai 2010


La dimension sociale, morale et politique de la contraception
par Mgr Jacques Suaudeau

Dans un entretien accordé à Liberté politique, Mgr Jacques Suaudeau, directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la vie, poursuit l’analyse qu’il a donnée à l’institut Dialogue Dynamics le 21 avril, sur les nouvelles techniques abortives. Cette semaine, il aborde les dimensions morale et sociale de la mentalité contraceptive. Une question pleinement politique.

Propos recueillis par Pierre-Olivier Arduin.

Statistiquement, sait-on combien une femme sous couverture contraceptive quotidienne pendant plusieurs années pourrait détruire d’embryons ?

Faute de disposer de marqueurs biologiques fiables et faciles d’emploi afin de détecter la présence de l’embryon avant son implantation, on ne peut dire objectivement quel est le pourcentage d’avortements précoces ainsi entraînés par la contraception oestro-progestative. On en est réduit à une comptabilité approximative, par déduction.

En supposant un échappement ovulatoire dans 5% des cycles, et en estimant la fréquence des fécondations réussies à 25% des cycles avec ovulation, on aurait, sous une contraception par le type de pilule oestro-progestative actuelle¬ment prescrit, 1,25 fécondations réussies pour 100 cycles, soit 15 fécondations réussies pour 100 femmes/an. Une de ces fécondations donnera lieu à une grossesse, puisque la valeur moyenne de l’indice de Pearl (nombre d’enfants pour cent femmes pour un an) pour les pilules oestro-progestatives actuelles tourne autour de 1. Les 14 autres fécondations aboutiront à la formation d’embryons qui ne pourront se nider dans l’utérus et seront éliminés.

L’« indice de destruction embryonnaire » sous pilule oestro-progestative, qui correspond au nombre théorique de fécondations possibles déduit du nombre de développements foetaux actuellement réussis, serait ainsi de 14 embryons pour cent années-femme. Une femme qui utiliserait la pilule oestro-progestative comme contraceptif pendant 15 ans éliminerait ce faisant, sans le savoir, environ deux embryons. Même si ce chiffre peut paraître faible au niveau individuel, il devient quantitativement important dès lors qu’on l’applique à l’ensemble de la population féminine utilisant ce mode de contraception : pour 4 millions d’utilisatrices en France, par exemple (1990) cela représenterait un nombre d’environ 300.000 embryons éliminés par an.

Comment expliquez-vous que l’opinion publique ait été tenue dans l’ignorance de faits aussi cruciaux sur le plan éthique ?

Le développement de la contraception n’a pas suivi les règles habituelles, éthiques et de bonne pratique de la recherche biologique et pharmacologique. Il s’est fait sous une pression extérieure, étrangère à cette biologie, et d’ordre idéologique, exercée par le Planned Parenthood Federation of America et sa sulfureuse directrice Margaret Sanger. Raciste, féministe, eugéniste négative, partisane des stérilisations d’office et de l’euthanasie, Mme Sanger était plutôt méprisante pour les pauvres et les « races inférieures ». Son idéologie n’était, en fin de compte, pas si éloignée de celle de « l’eugénisme politique » mis en oeuvre par le nazisme.

Margaret Sanger trouva un allié puissant chez John D. Rockefeller qui avait mis l’institut qu’il avait créé au service de l’eugénisme. Dans le domaine de ce qui allait devenir la contraception comme phénomène de masse, le désir de pouvoir réduire la natalité, en particulier dans les familles les plus pauvres et dans les pays en voie de développement, l’a de loin emporté sur la nécessité concrète des populations et aussi sur des notions éthiques bien établies comme le consentement informé, et la proportionnalité des risques. Le but était d’arriver à réduire le nombre de grossesses dans les pays considérés, quoiqu’il arrive.

Dans l’expérimentation animale puis humaine des divers moyens anticonceptionnels, on s’est donc intéressé avant tout à leur efficacité, la question des effets secondaires et des complications n’étant pas sérieusement examinée. À ce titre, le travail réalisé par Gregory Pincus pour le développement de ce qui allait devenir la première pilule (Enovid) est un exemple d’étude hâtive, faite sous la pression du Planned Parenthood, avec un évident conflit d’intérêt : on a abusé d’une situation politiquement favorable dans des pays en voie de développement, avec bien peu de préoccupation pour le consentement informé, et un grand dédain pour les complications et effets secondaires du produit.

On est pratiquement passé directement d’une élaboration pharmacologique de la future pilule combinée à une utilisation clinique, et c’est a posteriori que l’on s’est aperçu des complications les plus graves de la pilule — en particulier thrombo-emboliques. La gravité et la fréquence de ces complications auraient fait retirer du marché tout autre produit. Mais, pour la contraception, les intérêts commerciaux et l’idéologie de l’« explosion démographique » et du malthusianisme ont eu raison de la conscience professionnelle des décideurs.

On comprend aisément que, dans une telle perspective, la possibilité d’une action abortive des contraceptifs était le dernier des soucis des promoteurs. Si l’on a tu le lien pourtant clair entre cancer du sein et contraception orale, si l’on a passé sous silence les morts par accidents thromboemboliques liés à la contraception, si l’on a oublié de mentionner la gravité des infections pelviennes liées au dispositif intra-utérin, il n’est pas surprenant que l’on ne se soit guère préoccupé, aussi, de la possibilité de l’élimination des embryons, dans le cours des contraceptions.

À dire la vérité, mentalité contraceptive et mentalité abortive ne sont pas si éloignées l’une de l’autre, la première préparant le terrain à la seconde. Moyennant quoi, il est clair, pour une simple raison d’honnêteté intellectuelle et de respect des personnes, que ces effets abortifs de la contraception orale devraient être portés à la connaissance de l’opinion publique, même si cette même opinion publique ne paraît guère prête à en tirer des conclusions et des résolutions.

Dignitas personae rappelle que « l’utilisation des moyens d’interception entre dans la catégorie du péché d’avortement et demeure un acte gravement immoral » (n. 23). Le droit à l’objection de conscience des professionnels de santé ne devrait-il pas être reconnu explicitement en ce domaine par les pouvoirs publics ?

L’Instruction Dignitas personae donne effectivement un jugement éthique net et sans équivoque sur la pratique de l’interception, en la classant, sur le plan moral, dans le cadre de l’avortement volontaire. Même s’il y a encore aujourd’hui discussion sur le mode d’action de la « pilule du jour d’après », et si certains émettent des jugements contradictoires sur l’illicéité morale de son utilisation, il faut affirmer que le seul fait que la contraception d’urgence soit conçue pour avoir un effet interceptif — donc abortif — , suffit à rendre son utilisation moralement et gravement illicite à cause du non respect de la vie humaine que cette pratique exprime, sachant que les données scientifiques montrent que la probabilité d’un tel effet est bien réelle.

S’il y a une certaine incertitude à propos du mécanisme exact d’action des moyens de la « contraception d’urgence », ce doute joue en faveur d’une action interceptive, donc abortive, par empêchement de la nidation de l’embryon. Dans ces conditions, la règle morale est claire : elle demande de s’abstenir, car ce qui est en jeu n’est pas la solution d’un simple problème économique, ou le malaise provoqué par le développement d’une grossesse non désirée, mais l’existence d’une vie humaine, qui doit être respectée et protégée dès le moment de la conception.

Par ailleurs, nul ne peut atténuer la responsabilité des acteurs de la contraception d’urgence en faisant valoir la confusion de leur conscience, parce qu’il y aurait doute sur la valeur de l’action projetée, comme le prétendent certains des défenseurs de la « pilule du jour d’après ». La personne qui requiert une « contraception d’urgence » le fait parce qu’elle a eu un rapport sexuel potentiellement fécond et qu’elle ne désire pas que cette éventuelle grossesse aille de l’avant. Son intention n’est pas, à ce moment, contraceptive; elle est abortive. Le médecin qui prescrit la pilule du jour d’après à cette personne ne le fait pas parce que cette pilule pourrait être simplement contraceptive, mais parce qu’elle peut réaliser un avortement précoce, sans conséquences négatives pour la personne qui est venue le consulter.

Il est vrai que la femme qui prend la « contraception d’urgence » peut le faire sans qu’une grossesse ait commencé en son sein, et que, dans ce cas, l’effet du produit est essentiellement antiovulatoire. Mais cette possibilité ne modifie pas la couleur morale du recours à une telle pratique : la femme qui veut le produit et le médecin qui le prescrit ou l’administre, acceptent volontairement le risque de provoquer un avortement. Quelle que soit la réalité accomplie au niveau biologique par la prise de la pilule du jour d’après, nous sommes de toutes façons, sur le plan moral des intentions, dans le cadre de l’avortement provoqué, clairement illicite.

Cette évaluation montre que le devoir moral des médecins, des éducateurs et des confesseurs est d’illuminer la conscience des fidèles et de toutes les personnes de bonne volonté sur la gravité de la prise de la contraception d’urgence, dénonçant la tromperie sémantique qui a rendu possible l’acceptation de la « pilule du jour d’après » dans les parlements nationaux. Cette même évaluation de la gravité morale de la prise de la contraception d’urgence montre que les médecins qui prescrivent la « pilule du jour d’après », ou les professionnels de santé qui la remettent à la femme, coopèrent de façon directe au mal de l’interception, donc au mal de l’avortement. Il est donc de leur devoir de faire objection de conscience par rapport à la prescription et à la distribution du matériel interceptif.

Le droit à une telle objection de conscience devrait être reconnu par les pouvoirs publics de façon explicite, si ces pouvoirs sont encore sensibles aux droits de l’homme et au respect des consciences qu’ils impliquent. L’histoire de ces dernières décennies, en France, montre malheureusement un fort décalage entre les proclamations ad extra du « pays des droits de l’homme » et le traitement ad intra de ces droits.

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