Benoît XVI parle de Sainte Jeanne d’Arc
publié dans magistère de benoît XVI le 30 avril 2011
Benoît XVI parle de Sainte Jeanne d’Arc
Le 26 janvier 2011 – (E.S.M.) – Lors de l’audience générale tenue Salle Paul VI en présence de quelque 4000 visiteurs, le Pape Benoît XVI a porté sa catéchèse sur sainte Jeanne d’Arc (1412 – 1431), une des femmes les plus célèbres de la fin du Moyen-âge.
Chers frères et sœurs,
Je voudrais aujourd’hui vous parler de Jeanne d’Arc, une jeune sainte de la fin du Moyen-âge, morte à 19 ans, en 1431. Cette sainte française, citée à plusieurs reprises dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique [C.E.C.], est particulièrement proche de sainte Catherine de Sienne, patronne de l’Italie et de l’Europe, dont j’ai parlé dans une catéchèse récente. Ce sont en effet deux jeunes femmes du peuple, laïques et consacrées dans la virginité ; deux mystiques engagées non dans le cloître, mais au milieu de la réalité la plus dramatique de l’Eglise et du monde de leur temps. Ce sont peut-être les figures les plus caractéristiques de ces « femmes fortes » qui, à la fin du Moyen-âge, portèrent sans peur la grande lumière de l’Evangile dans les événements complexes de l’histoire.
Nous pourrions les rapprocher des saintes femmes qui restèrent sur le Calvaire, à côté de Jésus crucifié et de Marie sa Mère, tandis que les Apôtres avaient fui et que Pierre lui-même l’avait renié trois fois.
L’Eglise, à cette époque, vivait la crise profonde du grand schisme d’Occident, qui dura près de 40 ans. Lorsque Catherine de Sienne meurt, en 1380, il y a un pape et un antipape ; quand Jeanne naît en 1412, il y a un pape et deux antipapes. Avec ce déchirement à l’intérieur de l’Eglise, des guerres fratricides continuelles divisaient les peuples chrétiens d’Europe, la plus dramatique d’entre elles ayant été l’interminable « Guerre de Cent Ans » entre la France et l’Angleterre.
Jeanne d’Arc ne savait ni lire ni écrire, mais elle est connue au plus profond de son âme grâce à deux sources d’une valeur historique exceptionnelle : les deux Procès qui la concernent. Le premier, le Procès de Condamnation, contient la transcription des longs et nombreux interrogatoires de Jeanne durant les derniers mois de sa vie (février-mai 1431), et reporte les paroles mêmes de la sainte. Le second, le Procès en nullité de la condamnation, ou de « réhabilitation », contient les dépositions de 120 témoins oculaires de toutes les périodes de sa vie.
Jeanne naît à Domrémy, un petit village à la frontière entre la France et la Lorraine. Ses parents sont des paysans aisés, connus de tous comme d’excellents chrétiens. Elle reçoit d’eux une bonne éducation religieuse, avec une influence notable de la spiritualité du Nom de Jésus, enseignée par saint Bernardin de Sienne et répandue en Europe par les franciscains. Au Nom de Jésus est toujours uni le Nom de Marie et ainsi, sur un fond de religiosité populaire, la spiritualité de Jeanne est profondément christocentrique et mariale. Depuis l’enfance, elle montre beaucoup de charité et de compassion envers les plus pauvres, les malades et tous les souffrants, dans le contexte dramatique de la guerre.
De ses propres paroles nous apprenons que la vie religieuse de Jeanne mûrit, comme une expérience mystique, dès l’âge de 13 ans [PCon, I, p. 47-48]. Par la « voix » de l’archange saint Michel, Jeanne se sent appelée par Dieu à intensifier sa vie chrétienne ainsi qu’à s’engager en personne pour la libération de son peuple. Sa réponse immédiate, son oui, est le vœu de virginité, avec un nouvel engagement dans la vie sacramentelle et dans la prière : participation quotidienne à la messe, confession et communion fréquentes, longs temps de prière silencieuse devant le crucifié ou l’image de la Sainte Vierge. La compassion et l’engagement de la jeune paysanne française face à la souffrance de son peuple sont rendus plus intenses par son rapport mystique avec Dieu. L’un des aspects les plus originaux de la sainteté de cette jeune fille est précisément ce lien entre l’expérience mystique et la mission politique[3]. Après les années de vie cachée et de maturation intérieure s’ensuivent deux brèves, mais intenses années de sa vie publique : une année d’action et une année de passion.
Au début de l’année 1429, Jeanne entame son œuvre de libération. Les nombreux témoignages nous montrent cette jeune femme de seulement 17 ans, comme une personne très forte et décidée, capable de convaincre des hommes indécis et découragés. Surmontant tous les obstacles, elle rencontre le Dauphin de France, le futur roi Charles VII, qui à Poitiers la soumet à un examen mené par plusieurs théologiens de l’Université. Leur avis est positif : en elle, ils ne voient rien de mal, seulement une bonne chrétienne.
Le 22 mars 1429, Jeanne dicte une lettre importante pour le roi d’Angleterre et à ses hommes qui assiègent la ville d’Orléans [ibid., p. 221-222]. Il s’agit d’une proposition de véritable paix, dans la justice, entre les deux peuples chrétiens, à la lumière des Noms de Jésus et de Marie. Mais cette proposition est rejetée, et Jeanne doit s’engager dans la lutte pour la libération de la ville, qui aura lieu le 8 mai.
L’autre moment culminant de son action politique est le couronnement du roi Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429. Pendant toute une année, Jeanne vit avec les soldats, portant parmi eux une vraie mission d’évangélisation. Nombreux sont leurs témoignages sur sa bonté, son courage et son extraordinaire pureté. Elle est appelée par tous et elle-même se définit comme « la pucelle », c’est-à-dire la vierge.
La passion de Jeanne débute le 23 mai 1430, lorsqu’elle tombe prisonnière dans les mains de ses ennemis. Le 23 décembre, elle est menée dans la ville de Rouen. Là se tient le long et dramatique procès de condamnation, qui débute en février 1431 et se termine le 30 mai avec le bûcher. C’est un grand et solennel procès, présidé par deux juges ecclésiastiques, l’évêque Pierre Cauchon et l’inquisiteur Jean le Maistre. Mais en réalité, il est entièrement guidé par un groupe de nombreux théologiens de la célèbre Université de Paris, qui participent au procès comme assesseurs. Ce sont des ecclésiastiques français qui, ayant fait un choix politique opposé à celui de Jeanne, ont, a priori, un jugement négatif sur sa personne et sur sa mission.
Ce procès est une page bouleversante de l’histoire de la sainteté et également une page éclairante sur le mystère de l’Eglise, qui, selon les paroles du Concile Vatican II, est « à la fois sainte et a toujours besoin de purification » [LG, n. 8]. C’est la rencontre dramatique entre cette sainte et ses juges, qui sont membres du clergé. Jeanne est accusée par eux et jugée, jusqu’à être condamnée comme hérétique et envoyée à la mort terrible du bûcher. A la différence des saints théologiens qui avaient illuminé l’Université de Paris, comme saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin et le bienheureux Duns Scot, dont j’ai parlé dans plusieurs catéchèses, ces juges sont des théologiens auxquels manquent la charité et l’humilité pour voir chez cette jeune fille l’action de Dieu. Viennent à l’esprit les paroles de Jésus, selon lesquelles « les mystères de Dieu sont révélés à ceux qui possèdent un cœur d’enfant, alors qu’ils restent cachés aux sages et aux savants qui n’ont pas d’humilité » [cf. Lc 10, 21]. Ainsi, les juges de Jeanne sont radicalement incapables de la comprendre, de voir la beauté de son âme : ils ne savaient pas qu’ils condamnaient une sainte.
L’appel de Jeanne au jugement du pape, le 24 mai est rejeté par le tribunal. Le matin du 30 mai, elle reçoit pour la dernière fois la communion en prison, et est immédiatement conduite au supplice sur la place du « Vieux Marché ». Elle demande à l’un des prêtres de tenir devant le bûcher une croix de procession. C’est ainsi qu’elle meurt en regardant Jésus crucifié et en prononçant plusieurs fois et à haute voix le Nom de Jésus [PNul, II, p. 457 ; cf. C.E.C. 435].
Environ vingt-cinq ans plus tard, le Procès de nullité, ouvert sous l’autorité du Pape Callixte III, se conclut par une sentence solennelle qui déclare nulle sa condamnation [7 juillet 1456 ; PNul, II p. 604-610]. Ce long procès, qui recueillit les dépositions des témoins et les jugements de nombreux théologiens, tous favorables à Jeanne, met en lumière son innocence et sa parfaite fidélité à l’Eglise. Jeanne d’Arc sera ensuite canonisée par Benoît XV en 1920.
Chers frères et sœurs, le Nom de Jésus invoqué par notre sainte jusqu’aux derniers instants de sa vie terrestre, était comme le souffle incessant de son âme, comme le battement de son cœur, le centre de toute sa vie. Le « Mystère de la charité de Jeanne d’Arc », qui avait tant fasciné le poète Charles Péguy, est cet amour total pour Jésus et pour son prochain en Jésus et pour Jésus.
Cette sainte avait compris que l’Amour embrasse toute la réalité de Dieu et de l’homme, du ciel et de la terre, de l’Eglise et du monde. Jésus est toujours à la première place dans sa vie, selon sa belle expression : « Notre Seigneur premier servi » [PCon, I, p. 228 ; cf. C.E.C. 223]. L’aimer signifie toujours obéir à sa volonté. Elle affirme avec une totale confiance et abandon : « Je m’en remets à Dieu mon créateur, je l’aime de tout mon cœur » [ibid., p. 337]. Avec le vœu de virginité, Jeanne consacre de manière exclusive toute sa personne à l’unique Amour de Jésus : c’est « la promesse qu’elle a faite à Notre Seigneur de bien garder sa virginité de corps et d’âme » [ibid., p. 149-150]. La virginité de l’âme est l’état de grâce, valeur suprême, pour elle plus précieuse que la vie : c’est un don de Dieu qui doit être reçu et conservé avec humilité et confiance. L’un des textes les plus connus du premier Procès concerne précisément cela : interrogée si elle sait d’être en la grâce de Dieu, elle répond : « Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu m’y veuille garder » [ibid., p. 62 ; cf. C.E.C. 2005].
Notre sainte vit la prière sous la forme d’un dialogue continu avec le Seigneur, qui éclaire également son dialogue avec ses juges et lui apporte paix et sécurité. Elle demande avec confiance : « Très doux Dieu, en l’honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous m’aimez, que vous me révéliez comment je dois répondre à ces gens d’Eglise » [ibid., p. 252].
Jésus est contemplé par Jeanne comme le « Roi du Ciel et de la Terre ». Ainsi, sur son étendard, Jeanne fait peindre l’image de « Notre Seigneur qui tient le monde » [ibid., p. 172] : icône de sa mission politique. La libération de son peuple est une œuvre de justice humaine, que Jeanne accomplit dans la charité, par amour de Jésus. Elle est un bel exemple de sainteté pour les laïcs engagés dans la vie politique, en particulier dans les situations les plus difficiles. La foi est la lumière qui guide toutes les décisions, comme témoignera, un siècle plus tard, un autre grand saint, l’anglais Thomas More.
En Jésus, Jeanne contemple également toute la réalité de l’Eglise, l’« Eglise triomphante » du Ciel, comme l’« Eglise militante » de la terre. Selon ses paroles, « c’est tout un de Notre Seigneur et de l’Eglise » [ibid., p. 166]. Cette affirmation, citée dans le Catéchisme de l’Eglise catholique [n. 795], possède un caractère vraiment héroïque dans le contexte du Procès de condamnation, face à ses juges, des hommes d’Eglise, qui la persécutèrent et la condamnèrent. Dans l’Amour de Jésus, Jeanne trouve la force d’aimer l’Eglise jusqu’à la fin, même au moment de sa condamnation.
J’ai plaisir à rappeler que sainte Jeanne d’Arc a eu une profonde influence sur une jeune sainte de l’époque moderne : sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Dans une vie complètement différente, passée au cloître, la carmélite de Lisieux se sentait très proche de Jeanne, vivant au cœur de l’Eglise et participant aux souffrances du Christ pour le salut du monde. L’Eglise les a réunies comme patronnes de la France, après la Vierge Marie. Sainte Thérèse avait exprimé son désir de mourir comme Jeanne, en prononçant le Nom de Jésus [Manuscrit B, 3r], et elle était animée par le même grand amour envers Jésus et son prochain, vécu dans la virginité consacrée.
Chers frères et sœurs, avec son témoignage lumineux, sainte Jeanne d’Arc nous invite à une mesure élevée de la vie chrétienne : faire de la prière le fil conducteur de nos journées ; avoir pleinement confiance en accomplissant la volonté de Dieu, quelle qu’elle soit ; vivre la charité sans favoritisme, sans limite et en puisant, comme elle, dans l’Amour de Jésus, un profond amour pour l’Eglise.
Merci.