Franciscains de l’Immaculée ( Suite 3, Roberto de Mattei)
publié dans regards sur le monde le 27 janvier 2014
Roberto de Mattei : le cas extrêmement grave des Franciscains de l’Immaculée
[L’article qui suit a été publié dans la dernière livraison de Corrispondenza Romana n° 1304 du 30 juillet 2013]
Le cas des Franciscains de l’Immaculée se présente comme un épisode d’une extrême gravité, destiné à avoir des conséquences à l’intérieur de l’Église, conséquences peut-être non prévues par ceux qui l’ont déclenché imprudemment.
La Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée (également connue comme Congrégations pour les religieux), par un décret du 11 juillet 2013, signé par son Préfet, S.Em. le cardinal João Braz de Aviz et par l’archevêque secrétaire, S.E. Mgr José Rodriguez Carballo, ofm, ont relevé de leurs fonctions les supérieurs des Franciscains de l’Immaculée, confiant le gouvernement de l’Institut à un « Commissaire apostolique », le Père Fidenzio Volpi, OFM Cap. Afin de durcir la forme du décret, le cardinal João Braz de Aviz s’est muni d’une approbation ex auditu du Pape François, ce qui retire aux Franciscains de l’Immaculée toute possibilité de recours devant le Tribunal de la Signature apostolique. Les raisons de cette condamnation, qui a pour origine un exposé fait à la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée par un groupe de religieux dissidents, demeurent mystérieuses. Du décret de la Congrégation et de la lettre envoyée aux Franciscains le 22 juillet par le nouveau commissaire apostolique, les seuls chefs d’inculpation semblent être ceux de faible « sentire cum Ecclesia » et d’attachement excessif au rite romain ancien.
En réalité, nous nous trouvons face à une injustice flagrante vis-à-vis des Franciscains de l’Immaculée. Cet institut religieux, fondé par les Pères Stefano Maria Manelli et Gabriele Maria Pellettieri, est l’un des plus florissants de l’Église par le nombre de vocations, l’authenticité de la vie spirituelle, la fidélité à l’orthodoxie et aux autorités romaines. Dans la situation d’anarchie liturgique, théologique et morale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, les Franciscains de l’Immaculée devraient être pris comme exemple de vie religieuse. Le Pape rappelle souvent la nécessité d’une vie religieuse plus simple et plus sobre. Les Franciscains de l’Immaculée se distinguent justement par l’austérité et par la pauvreté évangélique avec lesquelles, depuis leur fondation, ils vivent leur charisme franciscain. Aujourd’hui, cependant, au nom du Pape, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée relève de ses fonctions le gouvernement de l’institut, pour le transférer à une minorité de religieux rebelles, d’orientation progressiste, sur laquelle le nouveau commissaire apostolique s’appuiera pour le normaliser, c’est-à-dire pour le conduire au désastre auquel il avait jusqu’ici échappé grâce à sa fidélité aux lois ecclésiastiques et au Magistère.
Mais aujourd’hui, le mal est récompensé et le bien puni. Il n’est pas surprenant que cette dure sanction à l’égard des Franciscains de l’Immaculée provienne du même cardinal qui souhaite compréhension et dialogue avec les religieuses hérétiques et schismatiques américaines de la Leadership Conference of Women Religious (LCWR). Ces religieuses prêchent et pratiquent la théorie du genre et il faut donc dialoguer avec elles. Les Franciscains de l’Immaculée prêchent et pratiquent la chasteté et la pénitence et il n’existe donc pas de possibilité de compréhension pour eux. Ceci est la triste conclusion à laquelle parvient inévitablement un observateur impartial.
L’un des chefs d’inculpation est d’être trop attachés à la Messe traditionnelle. Mais cette accusation n’est qu’un prétexte dans la mesure où les Franciscains de l’Immaculée sont bi ritualistes, c’est-à-dire qu’ils célèbrent la Messe tout à la fois selon la forme ordinaire (« nouvelle Messe » du Missel de Paul VI) et selon la forme extraordinaire du Rite romain (Messe dite tridentine selon le Missel de 1962), comme cela leur est permis par les lois ecclésiastiques en vigueur. Face à un ordre injuste, on peut imaginer que certains d’entre eux ne renonceront pas à célébrer la Messe « traditionnelle » et ils feront bien de résister sur ce point dans la mesure où il ne s’agira pas d’un geste de rébellion mais d’obéissance. En effet, les indults et privilèges accordés à la Messe « traditionnelle » n’ont pas été abrogés et ils ont une force juridique supérieure au décret d’une Congrégation et même aux intentions d’un Pape si ces dernières ne sont pas exprimées dans le cadre d’un acte juridique clair. Le cardinal Braz de Aviz semble ignorer l’existence du motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, de son décret d’application, l’Instruction Universae Ecclesiae du 30 avril 2011, et de la Commission Ecclesia Dei, annexée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée usurpe aujourd’hui les compétences.
Quelle est l’intention de la suprême autorité ecclésiastique ? Supprimer la Commission Ecclesia Dei et abroger le motu proprio de Benoît XVI ? Dès lors, il faut le dire explicitement, afin que les conséquences puissent en être tirées. Et si tel n’est pas le cas, pourquoi poser un décret inutilement provocateur à l’encontre du monde catholique qui se réfère à la Tradition de l’Église ? Ce monde connaît une phase de grande expansion, surtout parmi les jeunes, et ceci est peut-être la principale raison de l’hostilité dont il fait aujourd’hui l’objet.
Enfin, le décret constitue un abus de pouvoir qui concerne non seulement les Franciscains de l’Immaculée et ceux qui sont qualifiés improprement de traditionalistes, mais tous les catholiques. Il représente en effet un symptôme alarmant de cette perte de la certitude du droit qui contamine aujourd’hui l’intérieur même de l’Église. L’Église en effet est une société visible, au sein de laquelle est en vigueur le « pouvoir du droit et de la loi » (Pie XII, Discours Dans notre souhait du 15 juillet 1950). Le droit est ce qui définit le juste et l’injuste et, ainsi que l’expliquent les canonistes, « La potestas au sein de l’Église doit être juste et ceci est requis par la nature même de l’ Église, qui détermine les buts et les limites de l’activité de la Hiérarchie. Tout acte des Sacrés Pasteurs n’est pas juste du simple fait qu’il provienne d’eux » (Carlos J. Errazuriz, Il diritto e la giustizia nella Chiesa, Giuffré, Milano, 2008, p. 157). Lorsque la certitude du droit vient à manquer, l’arbitraire et la volonté du plus fort prévalent. Cela arrive souvent dans la société et peut arriver au sein de l’Église lorsqu’en elle la dimension humaine prévaut sur la dimension surnaturelle. Mais si la certitude du droit n’existe pas, il n’existe pas de règle de comportement sûre. Tout est laissé à l’arbitraire de l’individu ou des groupes de pouvoir et à la force sur laquelle peuvent compter ces groupes de pression afin d’imposer leur volonté propre. La force, séparée du droit, devient injustice et arrogance.
L’Église, Corps mystique du Christ, est une institution hiérarchique, basée sur une loi divine dont les hommes d’Église sont les dépositaires mais en aucun cas ni les créateurs ni les patrons. L’Église n’est pas un soviet mais un édifice fondé par Jésus Christ, au sein duquel le pouvoir du Pape et des évêques doit être exercé en suivant les lois et formes traditionnelles, toutes enracinées dans la Révélation divine. Aujourd’hui, on évoque une Église plus démocratique et égalitaire mais le pouvoir est souvent exercé de manière personnaliste, au mépris des lois et coutumes millénaires. Lorsqu’il existe des Lois universelles de l’Église, comme la Bulle de Saint Pie V Quo primum (1570) et le motu proprio de Benoît XVI Summorum Pontificum, il est nécessaire pour les modifier d’adopter un acte juridique équivalent. Il n’est pas possible de considérer comme révoquée une loi précédente si elle ne l’est pas par le biais d’un acte explicitement abrogatif de même rang.
Pour défendre la justice et la vérité à l’intérieur de l’Église, nous nous en remettons à la voix des juristes, dont certains éminents cardinaux, qui ont ordonné selon la forme extraordinaire du rite romain les Franciscains de l’Immaculée et en connaissent la vie exemplaire et le zèle apostolique. Nous en appelons surtout au Pape François afin qu’il veuille retirer les mesures contre les Franciscains de l’Immaculée et contre leur usage légitime du rite romain dans sa forme extraordinaire.
Quelque soit la décision qui sera prise, nous ne pouvons cacher le fait que le moment que traverse aujourd’hui l’Église est dramatique. De nouvelles tempêtes s’annoncent à l’horizon et ces tempêtes ne sont certainement suscitées ni par les frères ni par les sœurs franciscains de l’Immaculée. L’amour de l’Église, catholique, apostolique et romaine, les a toujours caractérisés et nous pousse à prendre leur défense. Notre-Dame, Virgo Fidelis, suggérera à la conscience de chacun en ces moments difficiles la juste route à suivre.