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Histoire de la messe interdite (9)

publié dans un disciple le 11 décembre 2017


 

Histoire de la Messe interdite (9)

 

Livre 2

 

Le Novus Ordo Missae

 

Chapitre 6

 

« Apologie du Canon Romain »

Par le Père Calmel

 

Je donne maintenant le très puissant article du Père Calmel, op : « Apologie du Canon Romain » publié dans Itinéraires. Cet article eut un impact formidable sur la jeunesse traditionaliste qui était affrontée à cette subversion liturgique. Il lui fallait des arguments. Elle les a trouvés en particulier dans cet article du Père Calmel. Honneur à lui ! Il nous appelait, avec forts arguments théologiques, à maintenir le Canon romain : c’était notre plus cher désir.

Bien plus tard, parut le livre de Dom Guillou sur le même « canon romain », publié aux éditions Fideliter. Ce fut son dernier livre. Son testament. Il l’écrivit à Nice, d’un seul jet, sans recourir à la moindre note, comme d’un souffle, inspiré de sa totale fidélité à la liturgie romaine qu’il défendit toute sa vie dans sa magnifique revue : « Nouvelles de Chrétienté ».

 

Voilà l’article du Père Calmel, très théologique.

 

«  Il est bien entendu une fois pour toutes que je parle de ce Canon dans son état originel, avant les changements que les auteurs du Novus Ordo ont eu l’impiété de lui faire subir.

 

Or il est claire que pour l’Eglise vouloir faire la consécration valide c’est, pratiquement et depuis toujours, vouloir faire la consécration à l’intérieur d’un formulaire d’obligation approprié. Pour l’Eglise d’Occident, le Canon romain latin est ce formulaire.

I

 

Pour assurer la validité de la Messe et pour la célébrer avec la dignité qui s’impose, l’Eglise depuis l’époque patristique a établi un formulaire et prescrit des attitudes. Le formulaire est composé d’un ensemble de prières oblatives, adorantes, suppliantes, ayant un rapport direct avec la consécration. Ces prières laissent voir avec une transparence sans ombre que le récit de l’institution, lu pendantla Messe, opère objectivement le Saint Sacrifice. Il est infiniment autre chose qu’une lecture simplement évocatrice de la dernière Cène, sans efficience véritable.

 

Non seulement les prières du Canon romain avant et après la Consécration, mais encore la formule qui encadre immédiatement les paroles sacramentelles, sont composées de telle sorte qu’elles manifestent en toute limpidité la réalité objective du Sacrifice, -ce qu’est de fait la messe ; elle en indique sa nature et ses effets. Elles sont dignes en toute chose du Seigneur qui nous dit : Le Père cherche des adorateurs en esprit et en vérité.

 

Il offre infailliblement le Saint Sacrifice en esprit et en vérité le prêtre qui se laisse guider et  porter par le Canon romain.

 

Quels moyens sont mis en œuvre pour ruiner le Canon romain, pour faire régner l’équivoque et l’indévotion dans une ordonnance rituelle qui n’était jusqu’ici que vérité et piété ?

 

Ces moyens sont les déplacements, les ajouts et surtout le silence intentionnel. On commence par reporter après la consécration la plus grande partie des Preces Eucharisticæ ; juste une brève invocation au Saint-Esprit enclavée entre le Sanctus et le récit de l’institution ; on veut à toute force que le prêtre vienne butter contre la consécration sans lui laisser le temps convenable pour prendre conscience de ce qu’il va faire, sans lui permettre de se préparer au mystère infini qu’il va réaliser.

 

Ensuite, juste après la consécration on tourne l’attention du prêtre vers l’assemblée pour engager un dialogue qui, sans être hérétique, ne fait aucune allusion précise au Saint Sacrifice, offert ici et maintenant.

 

Enfin, si l’on a retenu, vaille que vaille, certaines idées du Canon romain sur la nature de la Messe et sur ses effets, on les a systématiquement énervées et affaiblies par des omissions bien calculées :

 

– le Seigneur Dieu à qui le Sacrifice est offert n’est plus invoqué sous les titres de sa toute-puissance ou de sa clémence infinie ;

– pas un mot de notre condition de serviteurs et de pécheurs, tenus à ces deux titres d’offrir le Saint Sacrifice ;

– rien sur l’Eglise en tant que catholique et apostolique ;

-pour tout achever on stérilise, non sans doute la formule sacramentelle de la consécration, mais du moins sa présentation immédiate, en la privant de toute référence au Père Tout-Puissant ;

– Par suite de ces altérations et manipulations les richesses inépuisables, mais bien définies, du rite consécratoire ne sont plus convenablement explicitées.

 

Les dispositions intérieures requises pour recevoir les fruits surnaturels du Saint Sacrifice ne sont plus favorisées comme il convient. Comment éviter que prêtres et fidèles, peu à peu, cessent de percevoir la signification de la Messe et que la Messe catholique glisse vers la cène protestante ?

 

A nos appréhensions l’avocat du diable, un Hannibal Bunigni,  répondra sans doute : vous n’avez rien à craindre car nous avons gardé l’équivalent des formules du Canon romain. Hélas ! lui répondrons-nous tout de suite, montrez-nous donc les formules équivalentes au Qui Pridie qui, au moment le plus solennel de la Messe et pour préparer l’action consécratoire, dont tout dépend, nous réfèrent à la Toute-Puissance de Dieu et à la sainte humanité du Christ. Inutile d’insister, vous savez fort bien que vous avez fait sauter le : accepit panem in sanctas ac venerabiles manus suas et elevatis oculis in cœlum ad te, Deum, Patrem suum omnipotentem…

 

L’avocat du diable continuera peut-être : Tenez compte malgré tout que, même si dans la Prex II nous n’avons pas jugé opportun d’introduire les termes : sacrificium, oblatio, hostia, cependant nous les avons gardés dans les Preces III et IV. L’allusion au mystère dela Messe comme sacrifice réel n’est quand même pas supprimée ?

 

A quoi nous répondrons : ce n’est pas douteux ; cependant pour quel motif cette référence sacrificielle (sauf dans la Prex III) arrive-t-elle seulement après la consécration ? Pourquoi ce retard et ce déplacement ? La mention du sacrifice n’aurait-elle donc pas une place normale avant la transsubstantiation consécratoire qui précisément accomplit le sacrifice ? Si vous aviez voulu amener le prêtre à perdre de vue la valeur sacrificielle de la consécration auriez-vous procédé d’une autre manière ?

 

 

 

II

 

 

Mais avant de poursuivre la comparaison et pour disposer de toutes les données indispensables relisons de près le Canon romain.

 

Apologie du beau Canon Romain.

 

Le Te igitur clementissime Pater, PREMIERE prière préparatoire à la Consécration, demande que soit agréé le Saint Sacrifice en spécifiant l’un de ses effets majeurs, obtenir tous les biens véritables pour la Sainte Eglise catholique et apostolique. Cette prière s’adresse au Père au titre de sa suprême clémence, car il n’y aurait aucun sens à offrir le Sacrifice si le Père ne nous avait donné le gage de son infinie clémence, de sa miséricorde sans limite par la croix rédemptrice de Notre-Seigneur et par le sacrement de son corps et de son sang. (Cette mention de la miséricorde du Père est évidemment un aveu implicite et repentant de nos offenses et de nos péchés).

 

Voici les termes qui implorent l’acceptation du Sacrifice : Te igitur,clementissime Pater, per Jesum Christum, Filium tuum, Dominum nostrum, supplices rogamus, ac petimus, uti accepta habeas et benedicas, hæc dona, hæc munera, hæc sancta sacrificia illibata.

 

Voici les termes qui spécifient l’un des effets majeurs de la Messe : In primis, quæ tibi offerimus pro Ecclesia tua sancta catholica : quam pacificare, custodire, adunare et regere digneris toto orbe terrarum : una cum famulo tuo Papa nostro N. et Antistite nostro N. et omnibus orthodoxis, atque catholicæ et apostolicæ fidei cultoribus.

 

Dans le Memento, SECONDE prière préparatoire à la consécration, l’Eglise recommande certains fidèles déterminés, ainsi que tous les assistants, mais en ayant soin de faire valoir leur foi orthodoxe, leur dévotion, leur qualité présente de participants pieux à l’oblation du sacrifice de louange. En les recommandant, l’Eglise indique les effets que la Messe doit produire en eux : rédemption de l’âme, espérance de salut, protection et sauvegarde dans tous les domaines. Ce Memento sont désignés et qualifiés en vue d’être présentés au Seigneur : et omnium circumstantiam quorum tibi fides cognita est et nota devotio, pro quibus tibi offerimus vel qui tibi offerunt hoc sacrificium laudis.

 

Le Communicantes, TROISIEME prière préparatoire, peut s’appeler une prière de communion des saints. L’Eglise militante, avant d’offrir le Sacrifice qui lui a été confié, tient à se mettre explicitement en liaison avec l’Eglise triomphante. Elle commence par vénérer la bienheureuse Marie toujours vierge. Il faut en effet la nommer en premier, et tout à fait à part des autres saints, puisque par son intercession elle préside au don de la grâce qui fait les saints. Afin que notre vénération ne soit pas un éclair fugitif, à peine perceptible, l’Eglise prend le temps d’énumérer un à un les douze apôtres ; viennent ensuite douze martyrs des premiers siècles. Mais en avant du cortège des grands intercesseurs, en tête de la procession s’avance saint Joseph ; il vient immédiatement aprèsla Vierge ; il est en effet son très chaste et très digne époux ; de plus son rôle s’est exercé dans la constitution même du mystère de l’Incarnation, alors que la mission des apôtres et des martyrs se rapporte seulement à la prédication et à la confession du mystère du Salut déjà réalisé.

 

La QUATRIEME prière préparatoire, Hanc igitur, se réfère de nouveau, explicitement, au Saint Sacrifice. Nous prions le Seigneur de l’agréer en précisant à quelle intention et en vue de quels effets : la paix dans nos jours d’ici-bas, la préservation de la damnation éternelle, « l’agrégation » au nombre des élus (in electorum grege). Dans ce Hanc igitur nous nous tenons devant Dieu comme des serviteurs et non seulement comme des fils ; nous demandons à Dieu d’agréer notre oblation au titre de sa miséricorde ut placatus accipias ; bref, nous prions comme des pécheurs offrant à Dieu un sacrifice propitiatoire.

 

La CINQUIEME prière, le Quam oblationem, demande avec beaucoup de force et d’amour l’accomplissement de la transsubstantiation sacrificielle. Ici, la référence au Sacrifice réel et objectif est encore plus vive et plus nette que dans le Te igitur, le Memento, le Hanc igitur oblationem. Le Quam oblationem redouble d’insistance et accumule les expressions complémentaires pour obtenir que l’oblation (ici présente) soit faite en toutes choses et sous tous les rapports une oblation bénie, admise, ratifiée, raisonnable (et spirituelle), acceptable. Nous disons « raisonnable » par opposition aux sacrifices d’animaux, sacrifices charnels et figuratifs de l’Ancien Testament. Nous demandons pour tout résumer en deux mots, que notre oblation devienne soit faite (fiat) le corps et le sang du Fils très aimé du Père céleste.

 

Comme si tant d’insistance ne suffisait pas à manifester le réalisme des paroles consécratoires, l’Eglise dans le Qui pridie nous donne une présentation de ces paroles qui fait encore valoir leur efficacité sacramentelle. L’Eglise en effet ne rapporte les paroles de l’institution qu’après les avoir mises dans un écrin lumineux. Elle ne répète Hoc est enim Corpus meum… Hic est enim calix Sanguinis mei… qu’en faisant mémoire de la Toute-Puissance du Père et de la sainte humanité de son Fils. L’Eglise rappelle en outre que c’est un grand mystère de foi, parce que le Sacrifice rédempteur du Fils de Dieu incarné est, ici et aujourd’hui, offert en toute vérité, quoique sous un signe.

 

Avec la consécration, le Sacrifice est consommé. En vertu des paroles sacramentelles, le Christ est substantiellement présent et offert ici et aujourd’hui ; du pain et du vin ne restent que les apparences. Nous sommes appelés à nous unir à ce Christ, présent comme immolé, puisque l’hostie de notre rédemption est indivisiblement l’aliment de notre divinisation. Il s’offre comme victime sous un signe tel qu’il soit en même temps nourriture : prenez et mangez tous de ceci car ceci est mon corps… prenez et buvez-en tous, car c’est le calice de mon sang…

 

Cependant il ne convient pas de communier aussitôt. Si, comme il se doit, nous voulons prendre conscience du mystère ineffable réalisé par la consécration, l’offrir dévotement, en recueillir les fruits, il est nécessaire de continuer de prier en des oraisons suffisamment longues et explicites. Démantelée de prières ayant cette double qualité, la consécration laisserait perdre son sens et la communion ne trouverait pas le sien. De là les cinq prières qui suivent la consécration avant la doxologie du Per Ipsum et avant le Pater noster qui nous introduira directement à la communion.

 

La PREMIERE prière d’après la consécration est purement oblative. Dans le Unde et Memores l’Eglise fait mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension en offrant l’hostie, toujours ici présente, de la Passion accomplie à Jérusalem une fois pour toutes. C’est bien dans le passé que le Seigneur s’immola d’une manière sanglante, mais dans le présent il continue d’être immolé, quoique d’une manière non sanglante. Il est ici, sur cet autel, en qualité d’hostie pure, sainte, immaculée ; la même hostie que celle du Golgotha. Une telle offrande est vraiment proportionnée à la Majesté divine. C’est sans doute pourquoi l’Eglise dit solennellement : Nos servi tui sed et plebs tua sancta offerimus praeclaræ Majestati tuæ… Pas un instant l’Eglise n’oublie qu’elle serait incapable de présenter cette oblation absolument digne de Dieu, si Dieu le premier, à partir de dons terrestres qui viennent de lui (de tuis donis ac datis) ne l’avait mise entre ses mains, par le miracle de la transsubstantiation : offerimus… de tuis donis ac datis hostiam puram.

 

Dans la SECONDE prière après la consécration, l’Eglise implore la faveur jadis accordée aux sacrifices les plus célèbres et les plus saints de la loi de la nature et de la loi écrite. Ce supra quæ qui compare deux ordres de sacrifices présuppose l’efficacité de la consécration. Si la consécration était en effet un simple souvenir, sans vertu efficiente, sans réalisation objective, que viendrait faire ici le rappel de ces sacrifices qui, bien certainement, n’étaient que symbole, allusion et figure. La consécration est  d’un autre ordre : l’ordre sacramentel ; le sacrifice de la croix lui-même est offert sur l’autel mais sous un signe. Sanctum sacrificium, immaculatam hostiam.

 

La TROISIEME prière, le Supra quæ, expose une double requête : que notre sacrifice soit présenté à la Majesté divine ; par suite, que la communion qui nous y fera participer porte en nous tous ses fruits. L’Eglise supplie le Dieu Tout-Puissant que son Ange, c’est-à-dire son Envoyé par excellence, Jésus-Christ lui-même, veuille présenter sur l’autel céleste le sacrifice sacramentel qu’il a réalisé, par le ministère du prêtre, sur cet autel terrestre. De la sorte, en participant à l’autel d’ici-bas, en recevant le Corps et le Sang très saints du Fils de Dieu, nous serons remplis de toute bénédiction et de toute grâce. – Etant donné la gravité de ces demandes, il est naturel que l’Eglise s’adresse à Dieu au titre de sa Toute-Puissance.

 

La QUATRIEME prière, le Memento des défunts, demande à Dieu, au nom de sa miséricorde, (ut indulgeas) que la Messe fasse sentir son effet sur l’Eglise souffrante. Que nos frères trépassés qui sont en proie aux flammes mystérieuses du Purgatoire soient arrachés à l’obscurité et aux tourments qui les éprouvent dans ce lieu d’expiation et de purification. L’Eglise n’intercède pas indistinctement pour tous les défunts ; elle ne prie pas pour les damnés (pour ceux qui ab æterna damnatione non fuerunt erepti)[1] mais pour les seuls fidèles décédés dans la paix du Christ : d’abord ceux qui ont reçu le caractère du baptême sacramentel (qui nos praecesserunt cum signo fidei) ; ensuite ceux qui, au moins par le baptême de désir, ont mérité de reposer dans le Christ (omnibus in Christo quiescentibus).

 

Avec la CINQUIEME prière d’après la consécration, le Nobis quoque peccatoribus, nous passons du Memento des défunts à une sorte de Memento des vivants. Nous demandons en effet pour nous autres pêcheurs d’avoir quelque part avec nos frères et sœurs du Paradis ; des frères et des sœurs ayant un nom et un visage : le précurseur Jean-Baptiste, le premier martyr Etienne, les deux Apôtres désignés après l’Ascension : Matthias et Barnabé, enfin des martyrs et des vierges d’Alexandrie, de Carthage et de Rome : Félicité, Perpétue, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie. Cette sorte de Memento dans une perspective de Paradis est le plus humble qu’on puisse imaginer. Plus nous avons conscience que l’objet de notre demande est sublime et gratuit (partem aliquam et societatem cum sanctis tuis apostolis et martyribus), plus aussi nous éprouvons notre indignité et notre incapacité (intra quorum nos consortium non æstimator meriti sed veniæ, quæsumus, largitor admitte).

 

Le Nobis quoque peccatoribus ainsi que le Memento des défunts sont intimement liés au Sacrifice. Ils s’adressent à Dieu en effet, non pas seulement par le Christ, mais par le Christ qui a sanctifié nos dons ; en d’autres termes par le Christ qui vient d’offrir mystiquement son sacrifice en opérant la transsubstantiation sacramentelle des dons de son Eglise.

 

 

*

*    *

 

 

Après les cinq prières oblatives, adorantes et suppliantes qui préparent la Consécration, après le Te igitur et le Memento, après le Communicantes, le Hanc oblationem et le Quam oblationem, lorsque le prêtre en vient à dire le récit de l’institution, il est suffisamment éclairé sur sa réalité objective, sa consistance réelle, sa portée infinie. Il lui est moralement impossible de dire les paroles sacramentelles au titre de simple lecteur d’un récit et comme in personna ipsius legentis sacerdotis[2]. Il les dira in personna Ipsius Christi Filii Dei, étant porté par le mouvement si vigoureux et si pur, tout entier tendu vers la sacramentalité, du Te igitur et du Memento, de l’Hanc igitur et du Quam oblationem.

 

Lorsque s’élèvera, en conclusion du Canon, la grande doxologie du Per Ipsum c’est en toute certitude qu’elle montera vers Dieu le Père Tout-Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, par le Christ Lui-même avec Lui et en Lui.

 

La consécration en effet ayant été préparée et suivie par les prières que nous avons tenté de résumer ne peut avoir d’autre valeur que sacramentelle. Les formules qui entourent la consécration, soit avant, soit après, en manifestent le réalisme sacramentel avec tant de vigueur qu’il est moralement impossible de dire le récit de l’institution au titre d’une simple évocation symbolique, et donc inopérante et vide.

 

Prières suppliantes et oblatives, et qui traduisent toujours le sentiment de l’adoration chrétienne la plus profonde ; prières dont le lien avec la réalité objective du sacrifice, sa nature et ses fruits demeure toujours harmonieux et fort ; prières pour l’Eglise catholique militante, pour l’honneur des saints et la consolation des fidèles trépassés ; prières qui nous enseignent à supplier Dieu et à l’adorer en toute décence et humilité, non seulement comme des fils et des serviteurs, mais comme des pêcheurs qui ont un besoin essentiel de recevoir, par la Messe, les bienfaits infinis de la Croix : tel nous apparaît le Canon romain. Il est sans doute impossible de mieux préparer et mieux entourer la consécration.

 

 

 

III

 

 

Les trois nouvelles prières eucharistiques

 

Alors que les prières du Canon romain sont parfaitement adaptées au mystère, les nouvelles prières eucharistiques sont savamment désadaptées. La simple classification des omissions sans aucune équivalence nous en donnera quelque idée.

 

S’agit-il des termes ou des expressions qui marquent la valeur sacramentelle des paroles de la consécration, nous avons ceci : dans les trois nouvelles Preces eucharisticæ le Qui pridie a disparu ; dans les trois également : addition intempestive d’un dialogue post-consécratoire. Or c’est le moment pour le prêtre d’offrir à Dieu l’hostie pure qui vient de s’immoler mystiquement à ses paroles, mais ce n’est pas encore le moment de s’occuper des fidèles ; encore moins de s’adresser à eux en gardant le silence sur les aspects premiers du mysterium fidei : immolation actuelle, présence réelle.

 

Relevons également dans les nouvelles Preces, sans exception aucune, la réduction systématique des cinq prières qui préparent la consécration à une seule prière, scandaleusement brève et rapide. C’est toujours une invocation adressée au Saint-Esprit à toute vitesse et comme à la dérobée. La longue digression biblique de la Prex eucharistica quarta n’est là que pour donner le change : en réalité dans la Prex quarta la prière de préparation proprement dite est aussi vite expédiée que dans les autres. Dans la seule Prex tertia, l’invocation, toujours aussi abrégée, comporte cependant une formule très explicite : munera quæ tibi sacranda deferimus.

 

S’agit-il dans les nouvelles Preces, d’affirmer en termes clairs l’accomplissement actuel du sacrifice nous avons ceci : dans la Prex II nous n’avons rien. Eviction pure et simple des mots oblatio, hostia, sacrificium. Dans la Prex III nous relevons cependant une fois sacrificium, une fois oblatio, deux fois hostia. Dans la Prex IV une fois sacrificium, une fois hostia. Altare est inconnu des trois Preces.

 

S’agit-il des termes et expressions qui suggèrent la Majesté de Dieu à qui nous offrons le Sacrifice, en aucune des trois Preces on ne rencontre : Omnipotens Deus, divina Majestas, præclara Majestas.

 

Pour ce qui est des termes et expressions qui évoquent l’offense faite à Dieu, la nécessité où nous sommes de recevoir le pardon, la miséricorde  divine qui nous fait grâce en vertu du Sacrifice de Jésus-Christ, jamais dans aucune des trois Preces, jamais une formule comme : clementissime Pater, ut indulgeas, non æstimator meriti sed veniæ, largitor admitte. Simplement dans les Prex III et IV : clemens Pater prononcé comme à regret, comme s’il nous suffisait d’une clémence ordinaire et banale. Le mot benignus figure une fois dans les Preces III et IV. La Prex III y ajoute, une seule fois, placatus (sous la forme placari), miseratus, propitius. On n’évite pas de se dire que les auteurs de ces prières ont un sentiment mesquin de la miséricorde de Dieu. Car Dieu, dans sa miséricorde infinie, ne s’est pas contenté de nous donner son propre Fils, il a voulu encore nous laisser, sous forme sacramentelle, le Sacrifice de ce Fils.

 

Les termes ou expressions rappelant notre condition de serviteurs, notre état de pécheurs qui ont besoin d’offrir le sacrifice, ces termes ont été supprimés dans toutes les Preces ; plus de servi tui, servitutis nostræ, peccatores, ab æterna damnatione nos eripi.

 

Nous remarquons que la bienheureuse Vierge Marie n’est jamais dite semper virgo ; que les mérites des saints sont ignorés ; enfin, que pour exprimer les effets de la Messe par rapport à l’Eglise catholique on ne dit jamais justement que l’Eglise soit catholique et sainte et apostolique ; de même que la foi mentionnée dans les seules Preces III et IV (jamais dans la Prex II) cette foi n’est pas déclarée catholique et apostolique.

 

 

 

Plus encore : alors en effet que le prêtre qui offre la Messe selon le Canon romain demande au Père de rassembler tous ses enfants, non pas de n’importe quelle façon, mais dans l’Eglise sainte et catholique, au contraire le prêtre qui offre la Messe selon la Prex eucharistica tertia n’entre pas dans ces précisions nécessaires. La nouvelle Messe ignore de propos délibéré cet effet premier du Saint Sacrifice : rassembler mais non pas n’importe où les brebis dispersées ; les réunir au sein de l’Eglise catholique seule, parce que, en vue du salut éternel, le Seigneur ne connaît pas d’autre rassemblement. La substitution de omnes filios tuos ubique dispersos à l’expression traditionnelle : pro Ecclesia tua sancta catholica quam … regere dignetis toto orbe terrarum loin d’être un enrichissement biblique représente plutôt une altération grave, camouflée de biblisme. Ce ne serait pas une bonne défense d’objecter : un peu avant le omnes filios tuos, la Prex tertia demande l’affermissement de la foi et de la charité. Quelle foi ? En insérant le terme foi on veut nous endormir puisqu’on refuse de dire, au contraire du Canon romain, si cette foi est oui ou non orthodoxe ; là où le Canon romain offrait la Messe pro omnibus orthodoxis atque catholicæ et apostolicæ fidei cultoribus, la Prex tertia se refuse à rien savoir de la catholicité ni de l’apostolicité de notre foi. Quant aux Preces secunda et quarta, elles sont sous ce rapport encore plus imprécises.

 

On nous objectera peut-être : pourquoi donc s’attacher tellement aux termes catholique et apostolique quand on sait que tout homme de bonne volonté, entièrement fidèle à la lumière d’En-Haut, a reçu le baptême de feu et donc fait partie de l’Eglise ? Mais s’il fait partie de l’Eglise c’est parce qu’il accepte, serait-ce d’une manière très implicite, l’Eglise de Dieu telle qu’elle est ; or elle est à jamais catholique et apostolique. Si l’Eglise récusait ces deux notes qui sont consécutives à son mystère, les hommes qui l’ignorent invinciblement, mais qui sont justifiés par une foi implicite, ne pourraient jamais lui appartenir car elle n’existerait pas ; elle manquerait de ce qui la constitue dans son être. Sous prétexte que, dans certaines conditions, certains hommes n’ayant pas reçu le baptême d’eau et ne possédant pas explicitement la foi orthodoxe appartiennent cependant à l’Eglise, il est absurde de rejeter les notes de catholicité et d’orthodoxie, les définitions immuables et les rites déterminés ; car les hommes justifiés par le baptême de désir appartiennent seulement à cette Eglise-là, qui est catholique et orthodoxe, avec ses définitions et ses rites.

 

Disons pour conclure le bref examen des Preces que rien n’y est laissé au hasard. Tout est calculé. Tout s’infléchit dans une direction précise. On voulait aboutir à des formulaires a-typiques destinés à favoriser la destruction de la Messe. Il fallait donc recourir à une phraséologie réticente, et même essentiellement fuyante, ayant multiplié les omissions qui touchent à l’essentiel ; une phraséologie qui sans rendre nécessairement, ni tout de suite, les Messes invalides, préparerait les prêtres à les rendre telles en les obligeant à se tenir, quand ils disent les prières de la Messe, aussi loin que possible du mystère qu’ils célèbrent. On a réussi ce tour de force sinistre. Ce beau résultat pourra-t-il durer ? C’est une autre question. D’avance nous pouvons répondre par la négative. Les prêtres comprendront de plus en plus où on veut les mener et ils redresseront enfin la tête. Le Seigneur ne les a pas faits prêtres pour que, se laissant prendre dans l’engrenage de rites et de formulaires hypocrites, ils marchent la tête basse et se laissent finalement transformer en pasteurs protestants, de sorte que la seule et vraie Messe, la Messe catholique, s’évanouisse dans la cène protestante. Le grand moyen de l’éviter, et le seul en définitive, est de nous tenir au Canon romain latin – (et à l’Offertoire et en général au Missel) – d’avant le novus Ordo.

 

Nous confesserons la foi de l’Eglise dans la Messe en conservant l’Ordo de saint Pie V.

 

 

 

IV

 

 

Imaginez qu’au jour où nos Seigneurs les évêques, avec nombre de prêtres séculiers, ont décidé de célébrer la Messe en langue vulgaire, je vous ai ordonné de garder le latin. Mais en revanche, notez bien ceci :

 

-je vous ai défendu, pendant tout le Canon, maintenu obligatoirement en latin, d’invoquer jamais Dieu comme Père très clément, ou Tout-Puissant, ou Eternel, ou Vivant et Vrai ;

 

-je vous ai défends en outre de parler de la Majesté divine à qui vous offrez l’hostie ; cette hostie elle-même vous cesserez de la déclarer pure, sainte et immaculée ;

 

-je vous ai défendu enfin de vous reconnaître pécheurs et serviteurs.

 

-je vous ai fait interdiction de déclarer l’Eglise pour laquelle vous offrez toujours le sacrifice de la messe, sainte et catholique, gardienne de la foi apostolique et orthodoxe.

 

-vous continuez de prier pour les défunts pendant le Saint Sacrifice, mais je vous ai défendu de dire plus rien du fameux locum refrigerii.

 

-en faisant mémoire de la Vierge cessez donc  de la proclamer toujours vierge ; beata virgo est largement suffisant.

 

-Le texte de la consécration devra s’en tenir à la lettre de l’Ecriture ; il sera dépouillé des vains ornements qui sentent leur précision dogmatique : ad Te, Patrem suum omnipotentem et tout ce qui précède sur les mains du Christ et sur son regard élevé vers le ciel.

 

-De plus, le récit de l’institution sera étoffé d’un dialogue. Le prêtre n’aura pas plutôt fini la consécration qu’il sera tenu d’entonner un couplet acclamatoire avec le peuple de Dieu, – cette assemblée de laïques dont jusqu’à nos jours on a trop méconnu le sacerdoce.

 

-Au sujet d’Abel, Abraham, Melchisédech, au sujet de l’Ange mystérieux ou de l’autel céleste, ou de l’Enfer éternel, vous êtes prié de n’en plus faire aucune mention.

 

-Quant aux signes de croix et aux agenouillements, ils sont laissés ad libitum ; il n’est d’ailleurs pas interdit de les supprimer purement et simplement. Tout cela pour satisfaire aux impératifs nouveaux d’une Messe élargie, rendue œcuménique, mise à la disposition des pasteurs protestants, au lieu d’être orgueilleusement réservée aux seuls prêtres catholiques ».

 

J’aurais été incapable d’envisager pareilles destructions. A supposer cependant que j’ai eu l’audace de les édicter, combien de prêtres auraient baissé la tête et accepté de les appliquer au nom de l’obéissance. Elle eut été une obéissance mal comprise.

 

Or voici que la Congrégation pour le Culte divin a lancé des directives non moins insolites, non moins énormes que celles que j’ai signalées.

 

Qu’auriez-vous fait? De quelle manière auriez-vous célébré justement le culte divin ?

Vous auriez refusé purement et simplement une telle obéissance à ces canons « bunigniens ».

C’est ce que nous avons fait avec Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer. Et d’autres encore.

N’oubliez jamais ce qu’implique votre office sacerdotal : d’offrir le Saint Sacrifice de la Messe.

 

 

V

 

 

Ce que j’attends des prêtres, dit l’Eglise, c’est qu’ils offrent le Saint Sacrifice le moins indignement qu’il se pourra. C’est avant tout pour cet office que je les ai ordonnés. La prédication de la sainte doctrine, l’étude sacrée, les divers ministères en paroisse ou ailleurs, je ne les attends de leur zèle apostolique que reliés à leur fonction spécifiquement sacerdotale et dans son intime dépendance. Avant d’être préposés au corps mystique, ils sont députés au corps eucharistique.

 

Qu’ils méditent les prières de l’Offertoire et surtout les prières du Canon romain, latin, antérieur aux récentes manipulations. Que, ayant médité ces prières, ils les récitent dans la foi, en se souvenant que j’ai maintenu intact ce formulaire depuis au moins quatorze ou quinze siècles. Ils se déferont alors de la conception aberrante, si répandue dans le clergé, qui admet une relativité à peu près totale du formulaire, pourvu que soient prononcées les paroles de la consécration. Comme si j’avais bâclé les prières et les rites de la Messe, comme si je les avais composés pour autre chose que pour expliciter en toute franchise et toute piété le contenu et les effets des formules sacramentelles ; comme si ces formules elles-mêmes, que j’ai reçues de mon Epoux et Seigneur, le Verbe de Dieu né de la Vierge, n’étaient pas exposées à devenir nulles, faute d’un contexte approprié. Et de fait, elles sont devenues inopérantes et vides, tout en demeurant matériellement identiques, lorsque les Protestants les ont insérées dans un contexte qui en pervertit la signification. Le récit de l’institution ne suffit pas à garantir la validité dela Messe si le contexte le fait glisser vers un changement de sens. Le récit de l’institution maintenu invariable, mais prononcé par des pasteurs hérétiques, ne laisse pas d’être inefficace.

 

Que mes prêtres méditent le Canon et, guidés par moi, ils sauront le remettre en honneur, ils ne s’abandonneront plus au sommeil d’un rubricisme sans âme. Ils comprendront que si c’est un progrès d’avoir solennisé le Per Ipsum, un changement louable de faire reposer l’hostie sur la patène et non plus sur le seul corporal, une disposition utile de réciter le Canon à voix basse et non plus d’une voix rigoureusement imperceptible, en revanche, c’est une hypocrisie horrible d’avoir lié ces réformes, qui sont heureuses, à un bouleversement du formulaire qui est, ni plus ni moins, une tentative dissimulée de corruption intégrale. S’il est bon de ne pas rejeter ces réformes, il est indispensable, serait-ce contre le gré des autorités, de les soustraire à un danger imminent de corruption.

 

Que mes enfants admettent l’existence et l’activité du démon de l’hérésie. Si les démons des passions charnelles, la peur, la luxure, l’avarice sont les plus visibles et les plus remuants, les démons de la perversion hérétique ne sont ni plus faibles, ni moins actifs. Non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates…[3]. Que mes enfants mettant à profit, dans la lumière de l’Esprit-Saint, les leçons qui se dégagent de ma longue histoire, osent réfléchir sur l’une des causes les plus certaines du succès des hérétiques. Ceux-ci ne seraient pas allés bien loin, ils auraient vite tourné court, s’ils n’avaient rencontré la complicité des évêques ; parfois même, on ne peut le nier, une certaine connivence, indécise mais vertigineuse, de celui-là qui est le père commun des pasteurs et des fidèles, le Vicaire en ce monde de mon Chef invisible qui règne dans les cieux et ne cesse de me défendre.

 

Que l’obéissance de mes enfants soit toujours dans la lumière et les yeux grands ouverts ; filiale et nourrie d’oraison, mais ne se rabaissant jamais à devenir inconditionnelle et servile ; car tout détenteur de l’autorité peut pécher ; si le Pape, dans certaines conditions, ne peut pas se tromper, il est également des circonstances où il peut se servir de son pouvoir ou négliger de s’en servir de telle sorte qu’il s’oppose à la loi de Dieu ; dans ce cas, il ne faut pas le suivre ; mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes.

 

Je demande à mes enfants d’être les témoins de la foi que je leur ai transmise et des sept sacrements que je garde au moyen de rites appropriés ; en particulier, être les témoins de la Messe de toujours, celle qui tient depuis des siècles et des siècles, grâce à l’offertoire et au Canon romain. Ne point pactiser ; être témoins de la foi et de la Messe ; ne pas s’arrêter de prier ; surtout invoquer Notre-Dame, parce qu’elle est médiatrice de toute grâce et qu’elle extermine les hérésies : Cunctas hereses sola interimisti, dum Gabrielis Archangeli dictis credidisti[4]. Elle défendra victorieusement, contre les inventeurs d’une Messe œcuménique, que chacun tournerait à sa façon et interprèterait comme bon lui semble, la Messe catholique, la Messe loyale et impossible à tourner, inexpugnable et indestructible, la Messe romaine d’avant la réforme bunignienne, la Messe romaine avec le Canon romain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Ceux qui n’ont pas été arrachés à la damnation éternelle (voir le Hanc igitur oblationem).[2] Comme si était en cause seulement sa personne privée de prêtre qui fait une lecture.

[3] Nous n’avons pas à lutter seulement contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances… (Il s’agit des puissances démoniaques) (Eph. 6,12).

[4] A vous seule, vous exterminez toutes les hérésies du fait que vous avez cru aux paroles de l’Archange Gabriel (Office de l’Annonciation dans le Bréviaire antérieur aux récentes manipulations).

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