Belgique: le conflit entre l’Eglise et l’Etat
publié dans nouvelles de chrétienté le 30 juin 2010
Mercredi 30 juin 2010Mgr Léonard à Rome
On apprend que le Pape a reçu ce matin Mgr André-Joseph Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles, primat de Belgique et président de la Conférence épiscopale belge… pour parler de la perquisition musclée de l’archevêché.
En effet, on lit sur le site « Osservatore Vaticano », cette présentation:
Belgique : les perquisitions tournent au conflit Eglise-Etat (1)
Ces derniers jours, la Belgique ne cesse de faire parler d’elle. Activant mes contacts au Nord de Quiévrain, je vous préparais quelques dépêches de fond sur ce pays, mais j’ai décidé d’accélérer la cadence à la faveur des deux grands événements du moment: la nomination de Mgr Josef De Kesel à Bruges et les perquisitions à Malines et à Louvain.
Les perquisitions, tout d’abord. Les faits sont déjà connus : la police est venue fouiller à l’archevêché, à Malines, mais aussi à Louvain, à la « Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuel dans la relation pastorale ». A Malines, elle a emporté des dossiers du service du personnel de l’archevêché et l’ordinateur personnel du cardinal Danneels (lequel, au lieu de se retirer de la circulation comme il l’avait annoncé, a au contraire élu domicile à quelque pas du palais primatial).
Sur le fond, il faut bien reconnaître que le juge d’instruction Wim De Troy avait matière à soupçons, après les révélations faites par Mgr Vangheluwe, l’évêque démissionnaire de Bruges. On pouvait également avoir des craintes au vu des faits soulevés, en 1998 déjà, par Alexandra Colen (parlementaire du parti séparatiste VB mais agissant en l’occurrence à titre personnel, comme mère de famille), qui avait dénoncé des « catéchismes » mettant sur les lèvres de bambins des propos explicitement sexuels.
Quant aux méthodes, il faut reconnaître que les enquêteurs n’y sont pas allés de main morte. Les évêques de Belgique, assemblés en plénière avec le nonce (au sujet de la nomination de Mgr De Kesel), ont été sequestrés pendant près de 9 heures dans le palais archiépiscopal. Les policiers leur ont confisqué tous les téléphones, sous prétexte de les empêcher d’avoir des contacts avec l’extérieur. Chacun des évêques a ensuite été interrogé par les policiers. Même le primat, Mgr Léonard, a été empêché de sortir pour aller célébrer une grand-messe qui était prévue à la basilique nationale du Sacré Coeur (messe par ailleurs profanée par des protestataires, comme je l’ai déjà écrit ici).
Protégé par son statut diplomatique, seul le nonce, Mgr Berloco, a pu « s’évader ». Très choqué (même à Caracas, son poste précédent, il n’a pas eu à subir de telles vexations de la part de la police d’Hugo Chávez), il a alerté la Secrétairerie d’Etat. Mgr Mamberti, secrétaire pour les relations avec les Etats, a convoqué l’ambassadeur de Belgique et lui a servi une protestation virulente : « vive stupeur pour les modalités » employées et « indignation » pour la « violation » de sépultures. Des termes exceptionnels en langage de chancelleries.
Détail piquant que j’ai vérifié : l’art. 453bis du Code pénal belge alourdit la peine quand la violation de sépulture est motivée par la haine raciale ou religieuse. Bien entendu, ces forages ont été justifiés au motif que les enquêteurs cherchaient des dossiers cachés dans ces tombes. Vous surprendrai-je en disant qu’on n’y a rien trouvé ? J’ai même obtenu un scoop que je vous livre : pour ce « Leonardo Code » digne d’une série B, le magistrat instructeur avait été tuyauté par Dan Brown.
(à suivre)
Ce qui surprend devant des mesures aussi vexatoires, c’est la première réaction de Mgr Léonard, vendredi : loin de la verte protestation du Saint Siège, il a affirmé que « la justice fait son travail et [qu’] elle avait le droit de perquisitionner », regrettant néanmoins un « zèle peut-être excessif » (voir « Le Soir ») .
Le nouveau primat de Belgique n’ignore pourtant pas l’action de ses prédécesseurs : pendant aucune des deux guerres mondiales, l’occupant allemand n’a osé se comporter d’une telle façon. Même pas en 1914-1918, où le cardinal Mercier était la figure de proue de la résistance nationale belge. Il faut dire que, bien loin de remettre aux soldats du Kaiser son téléphone et son ordinateur portables ou ce qui en tenait lieu, il les reçut toujours de façon altière, et mit un point d’honneur à ne jamais leur offrir de s’asseoir.
Quant à son successeur, le cardinal Van Roey (1926-1961), il y a gros à parier que, si une quelconque autorité avait prétendu fouiller le palais ou violer l’église métropolitaine, il s’y serait opposé tout net, en en faisant un casus belli, dans la veine de ce que la France a connu avec la résistance aux inventaires. Il faut dire que ces prélats croyaient au privilège de juridiction de l’Eglise sur ses clercs, ce qui n’est évidemment pas le cas de Mgr Léonard. Lors de la démission de Mgr Vangheluwe, il a même positivement appelé les victimes d’actes pédophiles à porter systématiquement plainte en justice. A quel titre peut-il maintenant se plaindre des perquisitions qui l’ont visé ?
C’est là que je voulais principalement en venir : le problème de fond est celui de la soumission de l’Eglise au droit commun . Si on accepte ce principe moderne, tout le reste suit. Les laïcards qui prétendent dénier à l’Eglise tout privilège sont en fait ceux qui se réservent un avantage indu, puisqu’un prêtre n’a pas le droit de se taire quand son évêque l’interroge. Dans la justice de l’Etat, au contraire, un accusé a droit au silence.
Dans les documents qu’il a saisis, le juge De Troy tombera peut-être ainsi sur des propos que des prêtres ont tenus confidentiellement à leur évêque en vertu de cette absence de droit ecclésiastique au silence, alors que, face au magistrat, ces prêtres se seraient retranchés derrière le silence. Le juge d’instruction joue ainsi sur les deux tableaux. Espérons que, le cas échéant, de telles violations des droits de la défense rencontreront l’opposition de la chambre des mises en accusation (dont les pouvoirs de contrôle de l’instruction ont été récemment renforcés).
Le respect des règles déontologiques aurait permis de ne pas en arriver là. Quand un magistrat perquisitionne chez un avocat ou un médecin, il se déplace en personne, accompagné d’un membre du Conseil de l’ordre. Celui-ci indique quels sont les documents qui relèvent du secret professionnel ; le magistrat est libre de suivre ou non son avis mais le poids moral de ce membre du Conseil est évidemment important. Dans ce cas-ci, il n’y avait évidemment aucune procédure prévue mais un minimum de décence aurait permis à Wim De Troy de suivre l’esprit de cette règle déontologique. Je le répète : cette violation fondamentale des droits de la défense pourrait conduire à des annulations de procédures.
Que les bonnes âmes se rassurent : réaffirmer en faveur de l’Eglise le privilège du for n’a rien à voir avec l’impunité. Il est évident que les clercs soupçonnés d’abus sexuels doivent être jugés et, le cas échéant, condamnés sans complaisance. Mais c’est exclusivement à l’Eglise de s’en charger, pas à l’Etat.
(à suivre)
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