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Entraide et Tradition

3ème Conférence de Carême: l’agonie en Jn 12 20 33

publié dans couvent saint-paul le 5 mars 2013


Troisième conférence de Carême
L’agonie de Gethsémani
Le drame de l’agonie en saint Jean
Jn 12 20 33

Saint Jean, dans son récit de la Passion, passe sous silence la scène de l’agonie. Il cite le jardin où se dirige Jésus après la Cène, mais ne dit rien de l’agonie elle-même : « Après avoir ainsi parlé (au Cénacle), Jésus se rendit, accompagné de ses disciples, au-delà du torrent de Cédron, où il y avait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples ». Ayant dit ceci, Jean nous raconte le récit de l’arrestation.

Pourquoi cette omission ?

C’est qu’Il écrit son évangile, alors que les récits des Synoptiques sont déjà bien connus des communautés chrétiennes. Nous avons étudié le récit de saint Marc dans la 2ème conférence de Carême. Dans sa relation de la Passion, il n’a pas pour but de les répéter ni de les compléter encore moins de les contredire. Il veut plutôt mettre en lumière certaines vérités de la plus haute importance et qui lui tiennent à cœur et que ses devantiers n’avaient peut-être pas suffisamment exprimées. Il veut souligner, lui, surtout la souveraine liberté avec laquelle Jésus entre en sa Passion. Il l’exprime très clairement dans sa relation de l’ arrestation par Judas et sa cohorte. C’est Jésus qui se constitue prisonnier ; on ne lui prend pas sa vie ; c’est lui qui la donne. Souvenez-vous de l’arrestation : « Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y était souvent allé avec ses disciples. Ayant donc pris la cohorte et des satellites fournis par les Pontifes et les Pharisiens, Judas y vint avec des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur dit: « Qui cherchez-vous? ».Ils lui répondirent: « Jésus de Nazareth. » Il leur dit: « Jésus de Nazareth, c’est moi. » Or,Judas, qui le trahissait, était là avec eux. Lors donc que Jésus leur eut dit: « C’est moi, » ils reculèrent et tombèrent par terre. Il leur demanda encore une fois: « Qui cherchez-vous? » Et ils dirent: « Jésus de Nazareth. » Jésus répondit: « Je vous l’ai dit, c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. » Il dit cela afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite: « Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés. » Alors, Simon-Pierre, qui avait une épée, la tira, et, frappant le serviteur du grand prêtre, il lui coupa l’oreille droite: ce serviteur s’appelait Malchus. Mais Jésus dit à Pierre: « Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m’a donné? »

Saint Jean insiste bien sur la liberté totale de NSJC en sa Passion. Aussi insérer, en un tel contexte, le récit de l’agonie eût peut-être affaibli l’enseignement que Jean entendait inculquer à ses lecteurs : la liberté totale du Christ en sa Passion.

Quoiqu’il en soit de cette explication, Saint Jean ne passe pas pour autant sous silence l’agonie qu’a connue le Christ Seigneur. Sa parole à l’endroit de Pierre, au Jardin de Gethsémani en est la preuve: « »Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m’a donné? ». Saint Jean ne cherché pas à faire oublier la douleur que Jésus a exprimée dans l’agonie racontée par les synoptiques , « ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m’a donné ».

Mais ce n’est pas la seule phrase qu’il faut relever en ce sens. Il faut aussi se souvenir de Jn 12 20-33 que nous allons méditer, passage qui fait invinciblement songer au drame de Gethsémani : « .Or, il y avait quelques Gentils parmi ceux qui étaient montés pour adorer, lors de la fête. Ils s’approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande: « Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus. » Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe allèrent le dire à Jésus. Jésus leur répondit: « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je?… Père, délivrez-moi de cette heure… Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » « Père glorifiez votre nom. » Et une voix vint du ciel: « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
La foule qui était là et qui avait entendu, disait: « C’est le tonnerre »; d’autres disaient: « Un ange lui a parlé. » Jésus dit: « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, mais pour vous. C’est maintenant le jugement de ce monde; c’est maintenant que le Prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Ce qu’il disait, c’était pour marquer de quelle mort il devait mourir ».(Jn 12 20 33)
Comment comprendre tout cela ?

En somme on observe ici un phénomène identique au récit de la Cène : dans un cas comme dans l’autre, Jean ne reprend pas les données des Synoptiques, mais les prépare et leur donne leur sens. C’est ainsi qu’on a le discours du pain de vie de Jn 6 26-66 comme préparation de la Cène et Jn 12 22-33 comme prélude à l’agonie de Gethsémani racontée par les Synoptiques.

Commentaire de Jn 12 20-33

Vous en avez le texte ci-dessus.

Après avoir expliqué l’occasion historique des paroles prononcées ici par Jésus en Jn 12 20-22, nous examinerons les trois aspects de l’heure de Jésus qu’elles présentent successivement : cette heure est liée à la mort de Jésus : Jn 12 23-26 ; aussi représente-t-elle pour lui une épreuve redoutable : Jn 12 27-29 ; il n’en reste pas moins vrai que par elle, Jésus vaincra définitivement les forces du mal et attirera à lui tous les hommes de bonne volonté, sans distinction de races et de nationalité : Jn 12 30-33

L’occasion historique des paroles de Jésus.

Cette occasion historique nous es exposée aux versets 20 et 22 : « Or, il y avait quelques Gentils parmi ceux qui étaient montés pour adorer, lors de la fête. Ils s’approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande: « Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus. » Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe allèrent le dire à Jésus »

Les Grecs qui entrent ici en scène sont des hommes étrangers à la race juive et de culture grecque, mais gagnés au monothéisme d’Israël. Sympathisants et peut-être même prosélytes, ils participaient au pèlerinage pascal. Même inspirée par la curiosité, leur demande ne saurait s’entendre de façon purement matérielle car ils pouvaient aisément voir Jésus circulant en compagnie de ses disciples. Ce qu’ils désiraient sans doute, c’est avoir un entretien religieux avec lui. Leur requête fut transmise au Christ par deux Apôtres qui portaient un nom grec : Philippe et André, et qu’on retrouve ailleurs jouant un rôle similaire : celui de mettre en rapport avec Jésus : Jn 1 44-45. Ce détail montre le caractère historique de la scène.
Dans son ensemble la réponse de Jésus porte sur son heure. Quel lien a-t-elle avec la demande ? En apparence ce lien est inexistant. En réalité il est très profond. Par delà la demande de ces quelques grecs, Jésus contemple l’ensemble du monde païen en quête de Dieu et de la vérité religieuse et qui intégrera l’Eglise, le peuple messianique. Il est précisément venu pour sauver tous les hommes. « Ecce Agnus Dei qui tolit peccata mundi », dira de Lui saint Jean Baptiste. C’est dire que son « heure », l’heure où il réalisera en plénitude la Mission que son Père lui a confiée, doit coïncider avec l’extension du salut au monde entier. Voila le motif pour lequel l’intervention des Grecs fait que Jésus leur répond en parlant de son heure.

Mais précisons le sens de l’«heure » du Christ dans l’Evangile de saint Jean.

Elle désigne l’événement salvifique pris dans toute son ampleur. Elle correspond pour ce qui est de Jésus, à son passage de ce monde à son Père et à sa glorification pleine et entière, et, pour ce qui est des hommes, à la création du nouveau peuple de Dieu grâce à l’effusion du Saint Esprit. Mais l’heure de Jésus a également un côté sombre, voire terrifiant : le mystère de la Croix. Le point culminant de son Evangile, les chapitres 13 à 20 consacrés à l’heure de Jésus traitent tour à tour de sa Passion de sa Mort, de sa Résurrection, de son exaltation céleste et de la fondation définitive de l l’Eglise
Ces rapides indications sur l’heure de Jésus rendent plus intelligible les divers éléments de la réponse qu’il fait en JN 12 23-33. Tous ces éléments y sont évoqués.

Jésus commence par souligner le lien profond qui rattache les uns aux autres ces trois événements : sa glorification, sa mort, la fondation de son Eglise, cette nouvelle communauté messianique. Jésus dit : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera ».

Nous sommes arrivés presque au terme de la vie publique de Jésus. Aussi déclare-t-il que le Fils de l’homme est sur le point d’être glorifié. La glorification de Jésus coïncide avant tout avec sa résurrection et son exaltation céleste, mais elle est déjà inaugurée dans sa mort ; c’est ce que signifie l’expression « être élevé » qui s’applique en premier lieu à sa crucifixion Elévation et glorification sont intimement liés sans ce confondre cependant.. N’avait-il pas été prédit du Serviteur souffrant qu’il serait « élevé » et glorifié » souverainement (Is 52 13) Le quatrième évangile, comme les Synoptiques se rattache, jusque dans son vocabulaire, à cet oracle fondamental

Mais pourquoi parlez-vous de glorification alors que vous parlez de la mort ?

Parce que la mort de Jésus sera pour lui une glorification en raison des fruits merveilleux qu’elle produira. C’est ce qu’exprime la parabole du grain jeté en terre. Jésus se compare à un grain de blé jeté en terre qui porte beaucoup de fruit. Ce fruit important porté par le grain de blé, c’est la communauté messianique (l’Eglise) en laquelle les païens( les Grecs) pourront entrer.

Alors que Jésus vient de proclamer avec tant de force la grandeur et la fécondité de son heure, celle de sa Passion, source de vie et principe d’un nouveau peuple de Dieu, on ne s’attend pas à le voir envahi soudain par l’angoisse. C’est pourtant ce qui se produit. C’est principalement la dureté de l’heure de Jésus que suggèrent les versets 27-29 : « Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je?… Père, délivrez-moi de cette heure… Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » « Père glorifiez votre nom. » Et une voix vint du ciel: « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
La foule qui était là et qui avait entendu, disait: « C’est le tonnerre »; d’autres disaient: « Un ange lui a parlé » .

Il est évident que ce langage fait penser à la scène de saint Marc décrivant l’agonie au jardin des Oliviers. La déclaration : « Maintenant mon âme est troublée » fait penser à Mc 14 34 : « Mon âme est triste jusqu’à la mort »
« Père » : cette invocation fait penser à « Abba Père » de saint Marc (Mc 14 36)
« Sauve moi de cette heure » fait penser au texte de saint Marc, à la prière de supplique de l’éloignement de cette coupe, (de cette heure).

Toutefois les divergences entre ce récit johannique et le texte de Marc sont plus accusées que les ressemblances.

Après avoir vu les ressemblances, voyons maintenant les divergences.

Les circonstances de temps et de lieu diffèrent considérablement de part et d’autre, comme aussi la manière dont se déroulent les deux scènes.

Saint Marc parle d’une longue prière nocturne et d’une lutte terrible de Jésus avec pour seuls témoins trois apôtres qui, d’ailleurs se trouvaient à distance. Jésus est prostré à Terre et sa supplication angoissée demeure sans réponse ; le ciel est comme fermé. Ici, dans saint Jean, tout se passe en plein jour, en présence des disciples et de la foule. Jésus reste debout. Seulement il fait part à son entourage de son débat intérieur qui le fait souffrir. Son trouble n’est d’ailleurs que passager, car aussitôt après avoir formulé un souhait qu’il sait pourtant irréalisable, il se reprend pour affirmer que l’heure tant redouté est le motif même de sa venue parmi les hommes. Et le Ciel intervient alors pour proclamer la contrepartie glorieuse de la Croix.

Mais Jésus fait tout pour détourner son attention de cette exaltation annoncée. Il a plus de joie a contempler sa Croix que sa Filiation divine. Car son âme est plus inclinée à penser à sa mort, principe de Vie, qu’à sa gloire.

A son entourage, Jésus explique le sens de l’intervention céleste qui vient de se produire : « Jésus dit: « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, mais pour vous. C’est maintenant le jugement de ce monde; c’est maintenant que le Prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Ce qu’il disait, c’était pour marquer de quelle mort il devait mourir ».
Jésus parle du « jugement de ce monde », de la victoire sur les puissances mauvaises et il fait une allusion cachée au Serviteur souffrant d’Isaïe 53.
« C’est maintenant le jugement de ce monde » : ces paroles expriment formellement une dimension cosmique de Mystère de la Croix.
Par les paroles qui suivent, Jésus nous apprend que par sa Passion, le Christ « a jeté dehors le prince de ce monde »
Enfin, Jésus s’inspire avec discrétion de la scène du Serviteur souffrant. Jésus dit qu’il sera « élevé de terre ». Il s’inspire dans ce langage d’Isaïe 52 13. Quand il ajoute, qu’élevé de terre, il attirera tous les hommes à lui, il ne fait que reprendre en des termes différents, cette idée traduite avec tant de force : la mort sacrificielle du Serviteur aura une efficacité inouïe s’étendant à l’humanité entière.

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