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Entraide et Tradition

Jean Madiran

publié dans regards sur le monde le 1 août 2013


Jean Madiran

 

Jean Madiran n’est plus. Ou plutôt, il est ailleurs. Dieu a rappelé à lui son fidèle serviteur le mercredi 31 juillet, dans l’après-midi, en la fête de saint Ignace de Loyola, lui qui était oblat bénédictin et qui, jusqu’au dernier jour, aura prié et travaillé. Ora et labora… Dans la tristesse qui nous envahit, il est pourtant difficile de ne pas s’arrêter un instant sur ce clin d’œil du ciel : alors que les interrogations s’accumulent à propos des paroles et des actions futures du pape François, c’est en une fête jésuite que Madiran nous quitte. Et veille sur nous, sur le journal qu’il a fondé, sur notre fidélité à ce qu’il a transmis et que nous devons tenter de transmettre à notre tour.

Lui qui a aimé l’Eglise avec ce que l’on pourrait appeler une filiale bienveillance, une filiale vigilance, est bien devenu, en rejoignant l’éternité, un Veilleur à sa manière. Non point debout, ni non plus assis, ni traîné vers quelque garde à vue pour être resté fidèle à la vérité immuable de Dieu et celle sur l’homme, mais en entrant dans la Vie.

Les pensées se bousculent et les souvenirs affluent, mais vient d’abord la gratitude.

Gratitude pour cet homme debout, qui fut d’abord ennemi du mensonge – c’était pour lui, je crois pouvoir le dire, le péché haïssable entre tous – et ennemi de la médiocrité liturgique, de la trahison des clercs, des fossoyeurs de la France et des destructeurs de l’héritage catholique à transmettre aux enfants.

Gratitude pour les œuvres qu’il laisse : l’immense trésor d’Itinéraires, il le créa, à 36 ans, en 1956 et les plus belles plumes du mouvement national et des défenseurs de la liturgie traditionnelle y eurent leur place, de Louis Salleron à Dom Gérard, de Bernard Bouts à Michel de Saint-Pierre, de Jacques Perret à Gustave Corção. L’aventure devait durer quarante ans. Et c’était une école de pensée qui n’a pas fini de porter ses fruits.

Nous lui devons, à lui le défenseur tenace de positions que le monde (et Le Monde !) donnaient alors pour totalement dépassées, cette résistance française, typiquement et spécifiquement française, contre des innovations et des ouvertures au monde qui envahissaient en ces années-là l’Eglise comme un vent glacial. Elle a connu son aboutissement et son couronnement, cette résistance des laïques pour conserver le beau dépôt sacré de l’Ecriture et de la messe, avec le Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007. Jean Madiran l’avait vécu comme tel, avec un bonheur immense. C’était un peu, c’était beaucoup grâce à lui : au poste qui était le sien, d’écrivain laïque, il a donné à beaucoup des raisons de se battre et d’y croire, d’oser suivre les prêtres et des prélats – de l’abbé Berto à Mgr Lefebvre – qui sauvegardèrent la messe qui, avant tout, honore Dieu.

Mais c’est toute la réforme intellectuelle et morale que servait Itinéraires, une réforme qui semblait tarder, un sursaut qui se faisait attendre. Aujourd’hui que fleurissent toutes sortes de communautés traditionnelles, aujourd’hui que les écoles se multiplient afin que les enfants apprennent encore et toujours à penser, aujourd’hui qu’une France jeune se lève étonnamment pour dire « non » aux pires aberrations qu’elle est pourtant sommée de croire par l’Education nationale, j’ose le dire : l’œuvre de Jean Madiran n’y est pas pour rien. Tout cela, c’est la même famille. Ceux qui se sont levés avec lui pour réclamer qu’« on nous rende l’Ecriture, le catéchisme et la messe » sont de la même eau que ceux qui aujourd’hui promettent de ne rien lâcher, jamais, jamais, jamais, alors que des menteurs prétendent construire la société sur les sables mouvants de la famille déconstruite et détruite.

Au tout début des années 1980, dans le cadre d’une université d’été du Centre Charlier dont il était l’un des trois parrains – et il faudra reparler de Madiran et des Charlier ! – Jean Madiran lança, avec Bernard Antony, le pari fou de refaire un quotidien. Le mouvement national n’en avait plus depuis L’Action française qui, déjà, ne paraissait plus tous les jours : trop coûteux, trop difficile. Présent commença à paraître en 1982 et nous sommes toujours là ; seul des cinq co-fondateurs, Jean Madiran est resté à la barre ; il resta directeur de la rédaction jusqu’en 2007 et, depuis lors, il était directeur émérite et collaborateur fréquent à travers des éditoriaux qui ont cessé de paraître il y a quelques mois seulement.

Un incident de santé l’obligea à interrompre cette course.

Nous avions bon espoir, pourtant, de le voir revenir, comme toujours, un peu moins souvent peut-être mais toujours vers 5 heures du matin, pour écrire sur un sujet d’éternité ou d’actualité, c’était selon, et il y a quinze jours à peine, je recevais un SMS annonçant un papier pour la rentrée, réagissant à un texte publié quelques jours plus tôt dans Présent.

Ce texte, nous ne le lirons jamais.

Et ce fut le dernier message que je reçus de Jean Madiran, l’expression de son vœu le plus cher : continuer d’écrire parce qu’il était fait pour cela comme la mère est faite pour cajoler son enfant ou le vigneron pour faire du bon vin.

Oui, il était de Libourne et aimait le bon vin et je lui demandai un jour – il y a bien dix ans – s’il ne rêvait pas de quitter un jour Paris pour couler une retraite heureuse en Provence ou dans quelque autre coin de France – écrasé de soleil et ruisselant de bonheur de vivre.

Il y avait de la nostalgie dans sa voix et dans sa réponse, la nostalgie de ce que l’on sait ne pas pouvoir obtenir et qu’on désire sans le vouloir dans les faits : il travaillerait jusqu’au bout, me dit-il en substance, il ne quitterait pas Paris, parce que c’était son devoir et que ses raisons d’écrire étaient toujours là.

L’aventure de Présent aura été avant tout la sienne, et il nous laisse un état d’esprit. Il avait ses certitudes et ses combats, et il préférait être fidèle à ce qu’il croyait juste et vrai plutôt que de jouer des compromissions et des ambiguïtés qui auraient parfois pu permettre de ne pas froisser tel public, de ne pas déplaire à tel autre. C’est le fait d’un homme d’honneur.

Non, il ne pensait pas que ses combats fussent terminés. Il prévoyait au contraire une époque plus rude, plus dure que la sienne pour ceux qui resteront fidèles et qui, au nom de la foi, diront non au démantèlement de la raison et de la société, non au refus de Dieu et de sa loi.

J’ai eu la chance de côtoyer ce géant, cette intelligence brillante qui ne dédaignait pas d’apprendre à la « petite classe » de Présent comment l’on devient journaliste, et qui respectait si scrupuleusement notre liberté. Changeait-il un mot dans un de nos articles pour y mettre une expression plus juste ou plus adroite ? Il nous demandait toujours : « Maintenez-vous votre signature ? »

J’ai eu la chance de l’entendre confier sa manière de comprendre l’inspiration, celle qui préside aux bons textes (et Dieu sait qu’il en publia beaucoup – plus de trente livres, d’innombrables articles dans Présent et dans Itinéraires), un mystère qui semblait le dépasser : les pensées, disait-il, lui venaient comme d’ailleurs et de plus haut, sans qu’il puisse s’en glorifier comme émanant de lui-même.

Nous gardons et chérirons de lui cette œuvre qui demeurera et qui est assurément indispensable pour comprendre le triste XXe siècle ; avec son Sac de Rome et son Hérésie spécifique, sa Vieillesse du Monde que fut le communisme et son « soi-disant anti-racisme » qui le continua.

Jean Madiran pouvait irriter avec ses argumentations pointues, ses mots choisis avec une précision d’orfèvre, ses déductions implacables et ses conclusions assassines pour telle tromperie ou telle imprécision. Ce microchirurgien du verbe relevait implacablement les erreurs de logique et les faiblesses de pensée comme les fautes de style, mais c’était le bien de sa patrie et de l’Eglise qui le mouvait.

Quel homme sérieux et savant, pourrait-on penser. Mais il n’y avait pas de lourdeur chez Jean Madiran. Il se méfiait de ceux qui ne plaisantent ni ne chantent, il avait cet esprit espiègle que l’on trouve dans les monastères – comme le Barroux – chez des moines de soixante ou quatre-vingts ans, et ses yeux bleus pétillaient toujours de malice… Il n’avait pas envie de mourir.

Il attendait le Ciel, sans doute. Ce Ciel qui inquiète les moins confiants, les moins croyants d’entre nous : « Imaginez tout ce que vous aimez sur cette terre, tout ce qu’il y a de plus chouette – eh bien ! au Ciel, c’est pareil, mais en infiniment mieux ! » Mais il aimait cette terre et cette France, au point de ne plus vouloir, depuis quelques années, la quitter pour être sûr de ne pas mourir loin d’elle. Et il aimait sa femme, Michèle, à qui nous pouvons seulement dire aujourd’hui notre immense peine et notre profonde affection, partagée par tous ceux qui doivent tant à Jean Madiran.

Que Dieu l’accueille en son paradis et que, là-haut, il ne nous oublie pas.

JEANNE SMITS

Article extrait du n° 7908
du Vendredi 2 août 2013

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